L'Algérie ou les faux dilemmes
Jacques Berque (1910-1995) est un sociologue et anthropologue français, spécialiste du monde arabo-musulman. En 1956, il est élu au Collège de France où il obtient la chaire d’histoire sociale de l’Islam contemporain. Il est élu membre de l’Académie de langue arabe du Caire en 1989. Ses traductions et analyses du Coran demeurent des références incontournables.
La crise algérienne divise là France entre partisans de la violence ou de la négociation. On nous propose de combattre sans nous dire en vue de quoi, ou de traiter sans dire sur quoi. Sans doute, ces incertitudes traduisent-elles une juste émotion. Vous optez pour l'une ou pour l'autre attitude, selon qu'en vous prévaut l'horreur de l'attentat ou celle de la répression. Vous optez aussi entre deux raisons, mais ce ne sont que deux instincts : celui de préserver, sur cette terre algérienne, ce que nous y avons mis de notre être, ou celui d'approuver, dans l'adversaire du moment, l'élan vers cette liberté qui nous tient, en quelque sorte, par obligation de famille. De façon plus calculée, les uns pensent que la force, les autres que la concession sera plus propre à « sauver ce qui peut être sauvé ». Ces attitudes sont toutes deux légitimes. Je ne leur reproche pas d'être contradictoires, de se laisser dominer à l'excès par la tendance ou l'événement. Je ne veux les juger et, partant, décider entre elles que sur l'argument de leur adhérence au réel, donc de leur valeur constructive.
L'Algérie, vue de près, est chose vivante et vivace. Une chose sans commune mesure avec l'expérience coloniale s'y consomme. Une synthèse y est en marche. On ne sait ce qui viendrait s'y substituer si l'ordre français venait à disparaître. Le spectacle de certains autres pays n'est pas, il faut le dire, rassurant à cet égard. Voilà ce que ressentent, d'emblée, le jeune soldat, convié à des risques sans panache ; le fonctionnaire, syndicaliste d'origine, socialiste et antimilitariste de jadis. Ils se laissent, au bout de peu de temps, convertir par Alger à ce qu'ils y constatent : à tout le moins une existence qui a le mérite d'exister. Dans la lutte, un vieil esprit de conquête se réveille. Au mieux, on se dit qu'en toute hypothèse il faut défendre la jeune fille sur le pas des portes, le consommateur des petits bars ; qu'il faut que les trains arrivent et que les écoles fonctionnent. La « présence » de l'Algérie est assez puissante pour former (ou déformer) en quelques mois l'intellectuel métropolitain. Cette « présence » est un fait, qu'une rapide association d'idées identifie à la prépondérance française. Et voilà comment on passe à la répression. On ne cherchera plus qu'à prolonger ce siècle de prépondérance, mais sans savoir vers quoi, ni comment. Et de justes sensations vous mènent à l'absurde. L'un se réclame, paradoxalement, du collège unique qui submergera les non-musulmans ; l'autre promet le rétablissement de la démocratie après la répression. Démocratie dont le premier geste serait d'exiger cette indépendance que vous voulez exclure.
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
L'Algérie ou les faux dilemmes
En savoir plus
Découvrir toutes nos analysesOTAN-Russie : la "question russe" est-elle européenne ?
La relation Russie/OTAN a hérité des élargissements de l’Alliance, ou du Kosovo de 1999, une image et des perceptions croisées complexes. Mais elle ne peut désormais se penser dans un strict cadre de sécurité européen : le nouveau potentiel et les ambitions russes obligent à la resituer à un niveau plus général. Le triangle États-Unis/Europe/Russie est dorénavant au centre de la sécurité globale, et c’est dans ce cadre que peuvent être pensés les futurs rapports Russie/OTAN.
La France et l'OTAN : une histoire
Cofondatrice de l’Alliance, la France adopte en 1966 une position qui prend acte de son échec à la réformer de l’intérieur et qui garantit son indépendance. Les décisions récentes de réintégration sont les héritières de trois facteurs : des bouleversements géopolitiques redéfinissant le rôle de l’Alliance ; un rapprochement continu dans la gestion des crises depuis les années 1990 ; et la volonté de construire une Europe de la défense, qui ne peut être que complémentaire de l’OTAN.
Le "retour" de la France dans l'OTAN : une décision inopportune
La décision de la France de rejoindre la structure intégrée de l’OTAN confirme des évolutions déjà anciennes. Elle n’en est pas moins contestable. Symbolique, elle affecte l’image du pays sur la scène internationale. Elle ne garantit nullement une évolution de l’Alliance correspondant à nos intérêts de nation, et n’aide pas à lever les ambiguïtés sur son propre avenir. Elle risque enfin de réduire progressivement à néant la volonté de la France de se défendre par elle-même.
L'OTAN et les armes nucléaires
Le dispositif dissuasif de l’Alliance issu de la guerre froide ne peut qu’évoluer avec l’environnement actuel. Les éléments de la stratégie nucléaire de l’OTAN doivent donc être revus. Quel rôle ont désormais les armes affectées à l’Alliance ? Comment serait prise une décision en temps de crise et comment seraient utilisées ces armes ? Les accords de partage demeurent-ils pertinents ? Et comment arriver à un accord avec Moscou sur la disparition des armes nucléaires à courte portée ?