Entre la guerre et la recherche : maîtriser les technologies critiques dans la recomposition
Cruciales pour la souveraineté des États, les technologies critiques ont toujours été l’objet d’affrontements géopolitiques pour leur appropriation. Dans la guerre des capitalismes politiques, la régulation de leur développement et de leur transfert devient une question de sécurité. Dans ce domaine — où l’Union et les États-Unis pourraient se retrouver concurrents — un consensus reste à trouver.
Les relations existantes entre la science, les technologies et la sécurité nationale se transforment aujourd’hui sous l’effet de la compétition internationale croissante. Les États élargissent le périmètre des actifs considérés comme pertinents pour leur souveraineté et leur autonomie stratégique. Au premier plan de ces technologies se trouvent les technologies numériques, du fait de leurs caractère ubiquitaire et dual. Or dans ces domaines considérés comme « critiques », les États européens sont tributaires d’entreprises privées étrangères, sur lesquelles ils n’ont pas la même prise que sur les entreprises des secteurs stratégiques traditionnels.
Parmi les technologies critiques, les technologies émergentes sont celles qui, à l’instar des technologies quantiques, se situent à un bas niveau de maturité, et dont le développement est issu au premier chef de la recherche académique. Les États disposent de leviers d’intervention plus directs pour financer, orienter et encadrer la recherche que ceux dont ils disposent pour orienter le développement des technologies plus matures relevant déjà de l’industrie. Dès lors, pour l’Europe comme pour de nombreux États, ces technologies sont vues comme une opportunité de retrouver une autonomie technologique sur le long terme.
Alors que la recherche académique repose sur l’ouverture internationale et le partage de connaissances, concilier volonté de souveraineté et collaboration internationale présente toutefois de nouveaux dilemmes : dans quelle mesure doit-on rester ouverts pour le développement de technologies émergentes, dans un contexte de rivalité et de concurrence internationale ? Avec qui coopérer ? La « sécuritisation » des technologies émergentes revient in fine à poser la question des alliances technologiques que l’Europe peut choisir de forger pour les décennies à venir.
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Le rôle historique du militaire dans le développement de technologies
Les hautes technologies ont toujours été un objet politique. Historiquement, l’État, en France comme ailleurs, s’est impliqué dans le développement de technologies à des fins de capacité militaire, de prestige, et d’indépendance. Cela s’est principalement traduit par des investissements en R&D pour le développement de technologies militaires (armes complexes, munitions, navires, avions, véhicules terrestres), mais aussi de technologies habilitantes de nature duale (puissance de calcul, télécommunications, capacités spatiales).
Cet investissement de l’État a pour objectif de mettre à sa disposition des systèmes militaires correspondant aux besoins identifiés nationalement, avec une maîtrise (relative) des délais et des coûts, mais aussi de lui faire bénéficier des retombées de l’investissement en R&D de défense : soit le développement et le maintien de talents et d’une industrie de pointe bénéficiant en retour aux secteurs civils. En France, ces objectifs militaires ont permis de développer des industries dans les domaines spatial, aéronautique, informatique et de la microélectronique. Les industries de défense ont donc traditionnellement joué un rôle central dans les systèmes nationaux d’innovation, en particulier lorsqu’elles investissent dans la recherche fondamentale, débouchant sur des technologies duales.
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