Berlin-Pékin, des relations grevées par les tensions économiques, la politique de réduction des dépendances et le contexte géopolitique
Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemande (Cerfa) fait un point sur les relations entre la Chine et l’Allemagne auxquelles elle avait déjà consacré un épisode en mai dernier. Il s’agit de voir comment la situation a évolué entre temps.
Pour commencer, le ministre des Affaires étrangères Johann Wadephul a récemment annulé son voyage en Chine. Pourriez-vous nous donner les raisons de cette annulation ?
Effectivement Johann Wadephul devait se rendre à Pékin fin octobre pour préparer le voyage du chancelier Friedrich Merz en Chine. Faute de rendez-vous confirmés, outre celui avec son homologue Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères a préféré annuler le voyage et le reporter à plus tard. Se rendre à Pékin pour honorer ce seul rendez-vous aurait été humiliant. Pékin semblait faire payer à Berlin les propos du ministre des Affaires étrangères allemands dans un discours prononcé au Japon où il critiquait un comportement « de plus en plus agressif » de la Chine dans les eaux asiatiques. Il est cependant à noter que même si les relations entre Berlin et Pékin semblent se tendre, le vice-chancelier et ministre des Finances, Lars Klingbeil a été accueilli dans la capitale de la République populaire par le vice-premier ministre He Lifeng fin novembre.
Quels sont les sujets les plus pressants sur l’agenda germano-chinois en ce moment ?
Du point de vue de Berlin il est urgent de trouver une solution aux contrôles aux exportations mis en place par la Chine sur les terres rares et concernant les restrictions aux exportations sur les puces électroniques de Nexperia. Au cours des derniers mois, faute d’approvisionnements et par manque d’alternative ou de possibilité de substitution, certaines entreprises allemandes qui se fournissent en Chine ont été contraintes de limiter – voire d’arrêter – leur production. L’Allemagne a donc suivi avec beaucoup d’intérêt la rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping à Busan en Corée du Sud le 30 octobre dernier, concluant au report d’un an des contrôles aux exportations plus stricts.
La situation reste cependant floue : les entreprises allemandes se plaignent de devoir remplir des documents pour obtenir des licences pour leurs importations, révélant parfois des informations sensibles qui ont trait à leur secret d'affaires. Sur le volet des puces électroniques de Nexperia, l’Allemagne se réjouit des efforts entrepris par les Pays-Bas pour aplanir les différends. Il n’empêche que Berlin est nerveuse et souhaite mettre en place une ligne de communication directe avec la Chine pour apaiser les relations en cas de tensions.
Qu’en est-il des ambitions de l’Allemagne de réduire ses dépendances envers la Chine ?
Au mois de novembre, une Commission sur les relations économiques avec la Chine a été mise en place. Elle rapportera au Bundestag en faisant des recommandations à échéance annuelle en vue d’une réduction des risques.
Aux yeux de la ministre de l’Economie, Katherina Reiche, c’est aussi aux entreprises de prendre leurs responsabilités et de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour réduire leurs vulnérabilités. On leur reproche de n’avoir, à l’évidence, pas tiré de leçons de la pénurie résultant de la crise du coronavirus.
Un autre sujet qui n’est pas pour apaiser les tensions est la volonté de l’Allemagne de réduire sa dépendance de la Chine pour ce qui est de ses réseaux de télécommunication…
Tout à fait ! On peut rappeler qu’actuellement 50% à 60% des composants réseau d'accès radio 5G en Allemagne proviennent du fournisseur chinois Huawei. Le gouvernement Merz a encore renforcé les exigences de sécurité visant à retirer progressivement certains produits des fournisseurs chinois Huawei et ZTE des réseaux 5G allemands. Cette mesure s'explique par la crainte que les entreprises chinoises n'exploitent leur position dominante dans le réseau 5G en l’instrumentalisant à des fins de coercition.
Les relations entre la Chine et l’Allemagne sont donc tendues à plusieurs égards, on l’a vu sur la question de la restriction des échanges commerciaux de la part de la Chine mais aussi sur le plan du renforcement de la sécurité en matière de télécommunications de la part de l’Allemagne. Qu’en est-il des autres enjeux germano-chinois ?
L’autre grande préoccupation de l’Allemagne concerne les relations entre Moscou et Pékin dans un contexte de guerre en Ukraine. La Chine nie tout soutien à la Russie : elle affirme défendre l'intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine. Elle prétend que si elle avait soutenu la Russie, celle-ci aurait gagné cette guerre depuis longtemps. En Allemagne certaines voix aimeraient croire que la Chine peut faire pression sur la Russie pour mettre fin à cette guerre. Il a cependant été établi que la Chine permet à la Russie de contourner les sanctions occidentales, qu’elle alimente les caisses de guerre de Moscou par l’achat de matières premières et qu’elle fournit à Moscou des biens à double-usage, tels que des drones. C’est ainsi que parmi les institutions ciblées par le 19e train de sanctions de l’UE, décidé en octobre dernier, figurent des institutions chinoises.
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