Présidentielles 2017 : tournant de la politique étrangère de la France ?
Il était frappant de constater l’absence d’attention sérieuse portée à la politique étrangère lors des débats télévisés des 20 mars et 4 avril derniers. Frappant et préoccupant.
Selon François Hollande, « ça ne rapporte pas ». Le président de la République y consacre pourtant plus de la moitié de son activité pour les raisons suivantes : « Un, je pense à l’histoire. Deux, pour les Français, c’est important quand même de prouver que notre pays peut montrer qu’il est respecté. Et troisièmement, il y a des conséquences économiques.[1] » La politique étrangère devrait exiger une préparation approfondie de la part des prétendants à la fonction suprême car c’est un domaine où inconstance, idéologie et ignorance se paient comptant. Pour s’en convaincre, candidats et candidates gagneraient à relire l’œuvre de Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994). Mal conduite, elle mène à « l’abîme » ; bien conduite, elle permet de modifier favorablement l’environnement international.
En dépit de la complexité des enjeux, les discours sont souvent manichéens, se réfèrent presque systématiquement à l’héritage du général de Gaulle, tout en s’affranchissant volontiers de la « contrainte extérieure ». On préfère s’illusionner sur une indépendance fantasmée plutôt que d’analyser les ressorts de l’interdépendance, devenue, depuis les années 1970, « la pierre angulaire de la vie publique », comme l’observe fort justement Marcel Gauchet[2].
Au cours de la campagne, les candidats à l’élection présidentielle ont cherché, pour des raisons qui mériteraient une recherche à part entière, à se singulariser sur deux dossiers en partie corrélés : la relation à entretenir avec la Russie de Vladimir Poutine ; l’attitude à adopter à l’égard de la Syrie de Bachar Al-Assad.
Pour plusieurs candidats, la Russie est présentée comme un partenaire indispensable pour vaincre le « totalitarisme islamique », protéger les chrétiens d’Orient et concourir à la stabilisation du Moyen-Orient. S’il est évident que Moscou, avec Téhéran et Ankara, joue désormais un rôle décisif dans la région, il est tout aussi évident que Moscou et Paris ne partagent ni la même lecture du conflit ni le même agenda stratégique. À huit reprises, la Russie a utilisé son veto pour bloquer des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie. Son objectif prioritaire est le maintien, coûte que coûte, du régime de Bachar Al-Assad. La focalisation des candidats et des médias sur la Russie s’explique par l’influence du Kremlin sur la campagne électorale : le 24 mars, Vladimir Poutine a reçu Marine Le Pen avant de déclarer : « Nous ne voulons en aucun cas avoir de l’influence sur les événements à venir, mais nous nous réservons le droit de communiquer avec les représentants de toutes les forces politiques du pays, comme le font nos partenaires européens ou les États-Unis. »
Cette focalisation sur la Russie et la Syrie se révèle être un trompe-l’œil, dans la mesure où le projet européen reste la véritable pierre de touche entre candidats et le dossier le plus central de la politique étrangère française. Après le Brexit, la désaffection à l’égard du projet européen appelait un débat démocratique sur ses finalités et sa conduite. En réalité, le désarroi identitaire, provoqué par la profonde crise économique et sécuritaire, a révélé un double clivage. En abscisse, un axe économique entre « souverainistes » préconisant un retour au protectionnisme et « globalistes » défendant mondialisation et intensification des échanges. En ordonnée, un axe identitaire entre ceux qui privilégient les racines et la protection et ceux qui préfèrent le métissage et l’ouverture.
À la veille du premier tour, si l’on en croit les sondages, quatre candidats représentant quatre forces politiques relativement équivalentes se disputeraient la victoire finale : François Fillon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Chacun d’entre eux se situe aisément en fonction des deux axes tracés. Compte tenu du profil des personnalités, des forces en présence et des incertitudes parlementaires, il est fort probable que l’érosion des prérogatives présidentielles s’accélère au cours du prochain mandat.
À moins de céder à une tentation césariste, qui n’est jamais complètement à exclure au regard de la culture politique française en période de crise. Dans tous les cas de figure, c’est le projet européen qui demeure au cœur des préoccupations, douze ans après le « non » au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Or, au cours de la campagne, l’Union européenne a le plus souvent été présentée, sans perspective historique, comme un carcan à l’origine de tous les maux du pays : comme si la France n’était pas à l’origine du projet européen et comme si le budget de l’État, déficitaire pour la 43e année consécutive, subissait les injonctions de Bruxelles plutôt que les choix des gouvernements successifs pour préserver le « modèle français ». Simplificatrice, cette approche occulte un élément clé : l’échelle pour une Europe qui ne représente que 7 % (4 % en 2050) de la population mondiale et 25 % de la richesse mondiale.
Dans bien des domaines, agir au simple niveau national n’est plus adapté à l’ampleur des défis écologiques, sécuritaires et économiques. La fragilité persistante de son assise économique affaiblit la position relative de la France, qui représente environ 3 % de la richesse mondiale (et 15 % des dépenses sociales mondiales). Évidence volontiers oubliée : seule, la France pèserait de moins en moins à l’échelle globale. Face aux géants américain et chinois, elle disposerait de marges de manœuvre bien réduites. Vis-à-vis des partenaires européens au premier rang desquels figure l’Allemagne, certains candidats pensent pouvoir établir un rapport de force en menaçant de quitter l’Union européenne. Pas sûr qu’un chantage fasse une politique étrangère. Pas sûr non plus qu’un tel départ ne s’accompagne pas d’une hausse des taux qui rendrait la dette insoutenable. Reste au final un double principe de réalité : le système international est traversé par des forces d’interdépendance dont le contrôle nécessite une étroite coordination non seulement entre les États, mais aussi entre les États et les sociétés civiles. Et l’Union européenne, en dépit de tous ses défauts, contribue directement à la stabilité du continent européen et indirectement à l’influence de la France dans le monde.
L’absence de discussion sérieuse sur le cours à donner à la politique étrangère révèle la difficulté à accepter et expliquer la reconfiguration actuelle de la « mondialisation », qui se caractérise par une nouvelle clé de répartition de la puissance au détriment des pays européens, et une accélération de la transition numérique à l’échelle globale dont ils pourraient mieux bénéficier. À moins de considérer la France comme un isolat qui pourrait se soustraire au monde, et ce faisant rompre avec son histoire séculaire, il est frappant de constater l’inexistence d’une pédagogie du fonctionnement du système international au cours de cette campagne.
Face à un tel décalage entre le niveau actuel de la campagne sur ces questions et le niveau d’attente de l’opinion, des milieux d’expertise mais aussi des partenaires étrangers de la France, l’Ifri ambitionne d’alimenter et d’encourager le débat sur les enjeux de politique étrangère. Pour ce faire, le dispositif suivant a été mis en place.
En premier lieu, un groupe de haut niveau a été constitué en janvier 2016. Il s’est réuni à dix reprises au cours du premier semestre 2016. Ses travaux ont donné lieu à un ouvrage : Notre Intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ? dirigé par Thierry de Montbrial et moi-même[3]. Cet ouvrage se compose de deux parties. La première regroupe les contributions de personnalités politiques bénéficiant d’une expérience reconnue en matière de politique étrangère : Sylvie Goulard, Jean-Pierre Chevènement, Hubert Védrine, Élisabeth Guigou, Jean-Pierre Raffarin, Hervé Gaymard, ainsi que celle de Bertrand Collomb. La seconde partie regroupe les contributions de chercheurs ayant passé la notion d’intérêt national au crible de leur expertise : Pierre Grosser, Camille Grand, Frédéric Charillon, Jean-Yves Haine, Philippe Hayez, Marc Hecker, Vivien Pertusot, Frédéric Monlouis-Félicité et Patrick Messerlin. La plupart de ces contributions ont fait l’objet de vidéos de présentations disponibles sur la chaîne de l’Ifri. L’ouvrage a été présenté à l’Ifri le 2 février lors d’une conférence publique.
En second lieu, l’Ifri a organisé des rencontres avec des personnalités jouant un rôle clé dans l’élaboration et la conduite de la politique étrangère française. Thierry de Montbrial a présidé ou présidera des dîners tenus sous les règles de Chatham House autour du Général Benoît Puga, Grand chancelier de la Légion d’honneur (27 septembre 2016), de Nicolas de Rivière, Directeur général des Affaires politiques et de Sécurité du Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) (9 janvier 2017) et de Christian Masset, Secrétaire général du MAEDI (27 avril 2017). Parallèlement, un cycle de conférences publiques a été lancé. L’Amiral Édouard Guillaud, ancien Chef d'état-major des armées (CEMA) (2010-2014) et PDG d’Odas, est intervenu sur le rôle des exportations d’armes dans la politique étrangère française (21 mars 2017). Suivront les interventions du Général Christophe Gomart, Directeur du Renseignement militaire (19 avril 2017) et de Camille Grand, Secrétaire général adjoint de l’OTAN (5 mai 2017).
En troisième lieu, une étude collective – L’agenda diplomatique du nouveau président – dirigée par Marc Hecker et moi-même propose une série de textes courts pour identifier les principaux dossiers et les principales options auxquels sera confronté, au matin du 8 mai 2017, le huitième président de la Ve République. Disponible en français et en anglais, cette étude réunit les contributions de chercheurs de l’Ifri : Alain Antil, Marie-Claire Aoun, Christophe Bertossi, Alice Ekman, Tatiana Kastouéva-Jean, Barbara Kunz, Laurence Nardon, Françoise Nicolas, Julien Nocetti, Céline Pajon, Vivien Pertusot, Dorothée Schmid, John Seaman, Hans Stark et Matthieu Tardis, ainsi que Michel Pébereau, Frédéric Monlouis-Félicité, respectivement président d’honneur et délégué général de l’Institut de l’entreprise et Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) qui nous ont fait l’amitié de contribuer à cette étude. Les propositions des candidats ont fait l’objet d’infographies synthétiques préparées par Dimitri Von Büren.
Grâce à ce dispositif, l’Ifri propose à ses membres des analyses précises sur les principaux dossiers de politique étrangère, tout en contribuant directement aux débats par le biais notamment d’interventions médiatiques (Le Figaro, LCI, RFI, France Culture…) et en assurant un suivi des positions des principaux candidats.
Ce dispositif mis en place par l’Ifri vise précisément à analyser les interdépendances stratégiques, politiques, économiques et culturelles dont la France est à la fois objet et sujet, et leurs conséquences. Multiforme, ce travail d’analyse et de prévision est le préalable indispensable à toute tentative de les modifier en fonction des intérêts, valeurs et alliances sur lesquels repose la politique étrangère de la France. L’Ifri le poursuivra.
[1]. Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un président ne devrait pas dire ça… », Paris, Stock, coll. « Points », 2016, p. 654.
[2]. Marcel Gauchet, Le Nouveau Monde, Paris, Gallimard, 2017, p. 36.
[3]. Thierry de Montbrial et Thomas Gomart (dir.), Notre Intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ?, Paris, Odile Jacob, 2017.
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