16
aoû
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Julien NOCETTI, cité par Aude Le Gentil pour le JDD

Pourquoi la 5G inquiète (3/3). Espionnage : menace-t-elle notre souveraineté?

Cyber espionnage, portes dérobées, cheval de Troie, piratage… Les termes employés dans les articles sur la 5G évoquent parfois un croisement entre James Bond et Black Mirror. Cette nouvelle génération de téléphonie mobile, dont les fréquences seront vendues aux enchères aux opérateurs en septembre, suscite plusieurs craintes en termes de cyber-sécurité et de souveraineté.

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Le tout sur fond de duel entre Chine et Etats-Unis. Internet des objets, voitures autonomes, smart cities… Avec la 5G, des domaines stratégiques, comme la santé, seront de plus en plus connectés. Une quantité colossale de données sensibles circulera… et autant de tentations ou de failles potentielles à exploiter pour des hackers.

Des données ultra-sensibles

  • "Il y aura une interconnexion beaucoup plus forte de toutes les grandes infrastructures médicales, industrielles, urbaines, etc., décrit Julien Nocetti, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales et spécialiste de la diplomatie du numérique. Cela va poser des risques en matière de vulnérabilité de ces infrastructures, qui seront construites par des acteurs étrangers."

"Il faut comprendre que l'architecture des réseaux 5G n'a rien à voir avec les systèmes de télécommunication précédents, c'est-à-dire 4G, 3G, 2G, GSM. Et que les risques sont autrement plus importants qu'ils ne l'ont jamais été, avertissait Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, dans une interview accordée au Monde en janvier dernier. Imaginez, d'ici à 2030, la 5G va relier entre eux jusqu'à 500 milliards d’objets connectés sur la planète. Beaucoup des applications qui vont être déployées par ces réseaux concernent directement la sécurité, voire la souveraineté des Etats."

Cyber-espionnage et cheval de Troie

S'ajoute la peur que des Etats malveillants se positionnent dans la course à la 5G dans le but d'espionner d'autres pays. En la matière, c'est le groupe chinois Huawei, champion mondial des fournisseurs de réseaux de télécommunications, qui concentre les craintes. L'équipementier est très avancé sur la technologie 5G, loin devant le Suédois Ericsson, le Finlandais Nokia ou encore le Sud-Coréen Samsung. 

Outre-Atlantique, les tensions ont viré à la guerre diplomatique. En mai 2019, les Etats-Unis ont interdit à leurs opérateurs de se fournir auprès de Huawei et incité les pays européens à faire de même. Pour Washington, l'équipementier est un cheval de Troie, qui permet à Pékin de surveiller ses partenaires, bien que les accusés s'en défendent. "Il n'y a aucune preuve, seulement des doutes, et rien qui permette d'être rassuré", commente Carlos Bader, directeur de recherche à l'Institut supérieur d'électronique de Paris. L'absence de démocratie en Chine et la porosité entre gouvernement, armée et industrie alimentent les soupçons. Une loi de 2017 permet aussi aux autorités chinoises d'obtenir des données stockées sur le territoire national, sans garde-fous. "Le seul vrai risque avec Huawei, c’est la coupure à distance du service", confie le représentant d'un opérateur télécom. 

Des craintes sur fond de tensions diplomatiques

  • "L'essor récent et spectaculaire de Huawei interroge, observe Julien Nocetti, de l'Ifri. Il est perçu par les Occidentaux comme un acteur hégémonique, qui veut prendre des parts de marché partout où il le peut." L'hégémonie de ce géant "est perçue comme une faille pour l'autonomie stratégique des Occidentaux".

Mais les attaques américaines ne sont pas seulement motivées par la peur du cyber-espionnage, elles s'inscrivent aussi dans un contexte de tensions commerciales avec la Chine et d'une stratégie protectionniste de Donald Trump. 

  • "Il y a aussi une crainte palpable de perdre le leadership technologique, en particulier numérique", ajoute Julien Nocetti. Et de compléter : "Pour les Européens, ce dossier est à resituer dans le projet chinois des nouvelles routes de la soie. Il y a l'idée que la Chine pousse ses pions en matière technologique, pour inonder tout le continent eurasiatique puis l'Afrique."

La solution hybride européenne

Pour se protéger, faut-il faire une croix sur la 5G, au risque de se mettre hors-jeu? Pas forcément, répond l'ingénieur Carlos Bader. "On peut contourner le risque en imaginant un montage hybride, en mélangeant les équipementiers", énonce-t-il. L'idée est d'attribuer à Ericsson et Nokia le cœur du réseau, la partie la plus sensible, quand Huawei récupérerait des segments moins stratégiques. Les antennes situées à proximité de lieux sensibles, comme des bases militaires ou des usines de pointe, échapperaient aussi au groupe chinois.

C'est cette option qu'a choisi pour le moment l'Union européenne. La "boîte à outils 5G" présentée le 29 janvier par la Commission européenne n'exclut aucun acteur par principe, mais des règles de sécurité strictes empêchent de facto Huawei dans certains cas. Le Royaume-Uni, au contraire, a choisi le camp américain. Le 14 juillet dernier, l'exécutif britannique a annoncé son choix de bannir Huawei de son réseau 5G d'ici 2027.

En France, la loi du 1er août 2019, dite "anti-Huawei", impose aux opérateurs d'obtenir l'accord de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) avant tout déploiement d'équipements 5G. "Il n'y aura pas de bannissement total de Huawei", a déclaré le 5 juillet le patron de l'agence, Guillaume Poupard, dans une interview aux Echos, ajoutant que des autorisations seront délivrées pour des périodes de 3, 5 ou 8 ans. 

  • "La position européenne consiste à se tourner vers Ericsson et Nokia autant que possible et à dépolitiser la 5G pour ne pas jouer les Américains contre les Chinois", analyse Julien Nocetti. Dans le même temps sont lancés des projets d'infrastructures de données aux échelles européenne et nationale, pour ne pas dépendre des clouds d'outre-Atlantique.

 

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