21
déc
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Thibaud VOÏTA, cité par Robert Jules dans La Tribune

La Chine, plus gros pollueur du monde, accélère sa transition énergétique

Depuis quelques années, la République populaire met les bouchées doubles pour réduire sa pollution. Outre un développement rapide des énergies renouvelables, elle cherche à moderniser son appareil productif en réduisant sa trop grande dépendance au charbon pour produire son électricité, tout en maintenant sa croissance économique.

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En Chine, la « guerre contre la pollution » est une réalité. Elle a été officiellement déclarée en 2014 par le Premier ministre, Li Keqiang. Et le président Xi Jinping place la qualité de l'air parmi les premiers critères de la « civilisation écologique » qu'il prône. Cette prise de conscience au plus haut niveau de l'État n'est pas un effet d'annonce, car les premières victimes de la pollution sont les Chinois.

Selon une étude de l'Université de Chicago publiée en 2017, la mauvaise qualité de l'air représente en moyenne pour chaque Chinois une réduction de l'espérance de vie de trois ans et demi, et de six ans et demi dans les villes les plus polluées. Le pays est en effet champion en la matière. Il représente 28 % des émissions de CO2 dans le monde, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), loin devant le pays suivant, les États-Unis, avec 14,9 %. La France, elle, se classe au 19e rang, avec 0,9 % de ces émissions. Pour résoudre ce problème, la Chine a investi massivement dans les énergies renouvelables. En quelques années, le pays est devenu le leader mondial de la production d'énergie solaire (tant photo-voltaïque que thermique) avec 23 % de la production mondiale d'électricité photovoltaïque. Le solaire constitue 3 % de l'électricité produite par le pays, selon l'AIE. De même, la Chine est leader en matière d'énergie éolienne qui fournit 4 % de son électricité, et représente près de 25 % du parc éolien mondial, juste devant les États-Unis.

La pollution générée par son appareil productif, problème n°1 de la Chine

Mais ces nouveaux marchés, qui restent modestes, souffrent d'un contrôle des prix et d'un accès partiel au réseau électrique d'État, en particulier pour nombre de fermes éoliennes. En 2016, cet écart entre production et distribution était de 50 milliards de kWh, suffisant pour alimenter un petit pays. Mais le vrai problème de la Chine est la pollution générée par son appareil productif. L'industrie locale consomme plus de 50 % d'énergie - des 1 924 millions de tep [tonne d'équivalent pétrole. 1 tep = 11,6 MWh, ndlr] -, contre 20 % en moyenne dans les autres pays. L'urgence est donc de produire plus avec moins d'énergie. Le dernier plan quinquennal a fixé des objectifs précis, ambitieux mais réalistes. Même si le pouvoir communiste est autoritaire, la politique de lutte contre la pollution est élaborée à travers un processus complexe des différents acteurs concernés.

Ce contrôle strict a eu des résultats positifs. Entre 2010 et 2015, l'intensité énergétique (l'énergie nécessaire pour produire un point de PIB) a baissé de 18,2 % (battant au passage l'objectif officiel de - 16 %), alors même que la PIB a augmenté à un rythme annuel moyen de 7,8 %. « En à peine quelques années, la Chine a acquis un statut de champion d'efficience énergétique », souligne Thibaud Voïta, chercheur à l'Ifri dans une étude récente intitulée « Le pouvoir des politiques d'efficience énergétique de la Chine ». L'acquisition d'un tel degré d'expertise permet à la Chine de l'exporter dans d'autres pays émergents sous la forme d'aide.

De fait, le marché de l'énergie chinois est dynamique, notamment dans les services, avec 5800 entreprises actives répertoriées en 2016 qui ont signé des contrats de performances d'un montant de 15 milliards de dollars. La Chine peut aussi se targuer d'avoir considérablement réduit sa pollution atmosphérique dans les villes. La concentration des particules fines, particulièrement dommageables pour la santé humaine, était 54 % plus faible à Pékin à la fin de 2017, par rapport à l'année précédente. Et dans les 26 villes les plus importantes du nord du pays, cette concentration était un tiers de moins par rapport à un an auparavant.

Une puissante agence de protection de l'environnement

Ce résultat a été obtenu en réduisant la consommation de charbon - facilement disponible et meilleur marché - de 50 % entre 2013 et 2018. L'interdiction de la création de toute nouvelle capacité de production (acier, aluminium, cimenteries...) ainsi que la suspension d'importants projets d'infrastructures ont permis ces bons résultats, même si les incitations fiscales, la fixation de prix, ou encore l'ouverture du premier marché mondial d'échanges de quotas de carbone sont des mécanismes qui vont aussi accélérer la transition énergétique.

La Chine s'est également dotée d'une Agence de protection de l'environnement nationale qui dispose d'importants pouvoirs de coercition. Elle a obligé presque 4 millions de foyers à passer en 2017 du chauffage au charbon à l'électricité et au gaz naturel, dont la consommation devrait atteindre dans les prochaines années 300 milliards de mètres cubes. Selon l'AIE, la Chine sera en 2019 le premier pays importateur de gaz naturel, la part de ces importations dans sa consommation locale devrait passer de 39 à 45 % en 2023.

Un deuxième gazoduc en négociation avec la Russie

Son principal fournisseur sera la Russie. À la fin de 2019, les premières livraisons de gaz russe via le gazoduc « Force de Sibérie », d'une longueur de 3 000 km, vont accélérer le processus, d'autant qu'un deuxième gazoduc est en négociation entre les deux pays. Contrairement à d'autres gouvernements, le régime communiste peut imposer son diktat pour « le bien du peuple ». Sa marge de manoeuvre est facilitée par le fait que les plus gros pollueurs sont dans leur grande majorité des entreprises publiques sur lesquelles il peut agir directement. Sans compter que cette lutte contre la pollution permet de rationaliser l'appareil productif en éliminant les unités les plus polluantes qui, en général, sont les moins productives.

L'envers de la médaille est que ces bons résultats sont hypothéqués dès que la croissance du PIB ralentit. Les autorités adoptent alors des plans de relance en investissant dans les infrastructures comme ce fut le cas entre 2016 et 2017, ce qui a fait repartir les émissions à la hausse.

Enfin, toutes ces mesures ont un coût élevé pour le pays. En 2015, un cabinet d'études, l'Alliance de l'air propre de Chine, l'estimait pour les seules villes de Pékin, Tianjin et de la province de Hebei à quelque 38 milliards de dollars sur la période 2013-2018. Et ce calcul n'incluait pas le coût d'opportunité représenté par la suspension ou le report des projets industriels concernés. C'est tout le paradoxe : la Chine doit accélérer la modernisation de son appareil industriel pour réduire la pollution, ce qui augmente les émissions de gaz qui favorisent le réchauffement climatique.

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