18
aoû
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Paul MAURICE, propos recueillis par Vincent Geny pour Marianne

Merkel prudente sur l'accueil des Afghans : "La CDU ne veut pas payer les pots cassés"

Angela Merkel a plaidé pour un accueil « contrôlé » de réfugiés afghans qui sont « particulièrement vulnérables ». Une prudence qui tranche avec l'accueil d'un million de migrants en Allemagne en 2015 et à laquelle les élections fédérales de septembre, sur fond de percée de l'extrême droite, ne sont pas étrangères.
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Qui accueillera les réfugiés afghans qui ont fui le retour des talibans ? Tandis qu'Emmanuel Macron a évoqué, lundi 16 août, la nécessité de se « protéger contre des flux migratoires irréguliers », la dirigeante allemande Angela Merkel a manifesté une prudence comparable ce mardi 17 août, plaidant pour un accueil « contrôlé » de réfugiés afghans qui sont « particulièrement vulnérables ».

Des propos qui tranchent avec l'ouverture presque inconditionnelle à un million de migrants en 2015. À cette époque, Angela Merkel affirmait qu'« il est évident que nous devons aider et accueillir ceux qui cherchent un refuge chez nous ». Mais six ans plus tard, le contexte a changé. L'avenir politique de son parti se jouera en septembre lors des élections fédérales, bien que la chancelière ne puisse plus se présenter. La crainte d'un nouveau score important de l'Alternative Für Deutschland (extrême droite) inquiète. Pour décrypter le revirement d'Angela Merkel, Marianne a échangé avec Paul Maurice, chercheur au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Marianne : Merkel a parlé d'un accueil « contrôlé des réfugiés » concernant les Afghans. N'est-ce pas une rupture avec l'accueil d'un million de migrants en 2015 ?

Paul Maurice Effectivement. Angela Merkel a même dit qu'il ne faut pas « répéter les erreurs de 2015 ». C'est un signe important de sa part. Alors, elle ne parle pas de l'accueil en tant que tel car elle était convaincue du bien-fondé de sa décision et a affirmé à plusieurs reprises « Wir schaffen das » [nous y arriverons ; N.D.L.R]. Elle a plutôt des craintes sur les conséquences politiques de cet accueil qui, en 2015, ont permis à l'AFD d'entrer au parlement pour la première fois depuis 1949, avec 13 % des suffrages.

Justement, quel bilan peut-on tirer de l'accueil du million de migrants en 2015 ?

Cette décision se basait sur deux raisons. Dans un premier temps, une dimension humanitaire. Angela Merkel est protestante, fille de pasteur et a grandi à l'Est, donc la question de la fuite la touche. C'était peut-être sa décision la plus importante et réfléchie. Il y avait également des raisons économiques car les migrants représentent une force de travail dans un État qui connaît une baisse de la natalité. Cela a causé des tensions politiques au sein même de sa majorité. Horst Seehofer, son actuel ministre de l'Intérieur, s'était opposé à l'accueil des migrants à l'époque. Même à l'extrême gauche, la question a paradoxalement fait débat. Pour une dirigeante de cette tendance politique, les migrants gênaient les travailleurs allemands sur la question des droits sociaux.

« Sans la question migratoire, il n'est pas certain que l'AFD aurait fait un score aussi important en 2015. »

Plusieurs faits divers n'ont pas aidé non plus. On peut parler des viols commis au Nouvel An 2016 à Cologne ou encore de l'attaque à la hache à Düsseldorf en 2017, même si celle-ci a été commise par un ressortissant d'ex Yougoslavie. Le lien a rapidement été fait avec la décision d'accueillir des migrants.

Maintenant, il faut aussi faire un bilan général. Ces histoires restent marginales au vu du million de personnes accueillies. Précisons aussi qu'il y a du positif. Lors des inondations en juillet, beaucoup de migrants ont décidé eux-mêmes d'aider les populations victimes des inondations. Ils estimaient qu'au vu de l'accueil généreux de l'Allemagne, il était de leur devoir d'aller prêter main-forte.

Et au-delà de l'aspect politique, comment les Allemands ont vécu la question des migrants ?

D'un point de vue conjoncturel, lors de la crise migratoire, on a assisté à des relents de xénophobie, comme dans tous les pays occidentaux. Structurellement, l'Allemagne n'est pas une terre migratoire. Nous avons un certain nombre de Turcs qui sont arrivés en Allemagne de l'Ouest dans les années 60. À l'est, des populations de pays socialistes « frères » ont été accueillies, notamment du Vietnam, du Mozambique, d'Angola ou encore de Cuba. Mais, elles ont toujours été marginalisées et parquées à l'écart des villes. L'intégration n'était pas la même qu'à l'ouest.

C'est notamment cet aspect qui explique la percée de l'AFD. Avant 2015, c'était un parti eurosceptique de libéraux conservateurs. Ils ont opéré un vrai changement en 2015 en captant la question migratoire et en ont profité pour s'implanter à l'est qui apparaissait comme une terre de conquête pour eux. De par son passif, l'Allemagne de l'Est est vue, aux yeux de l'AFD, comme un territoire « purement allemand », dénué de Turcs ou de populations issues du Maghreb. Ils ont également récupéré le vote protestataire de l'extrême gauche. Sans la question migratoire, il n'est pas certain qu'ils auraient fait un score aussi important en 2015.

Aujourd'hui, la décision de Merkel ne semble pas faire l'unanimité au sein de son parti. Le secrétaire général de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU), Paul Ziemiak, a estimé que « 2015 ne doit pas être répété ».

Au vu des sondages un peu mauvais pour la CDU, qui est en dessous des 25 %, le parti a un peu peur de payer les pots cassés des décisions de Merkel qui s'en ira après les législatives de septembre. On assiste justement à des déclarations de responsables qui essayent de présenter la CDU comme réellement conservateur et non en dérive vers le centre. Retrouver leur ADN en somme. C'est toute la difficulté pour ce parti dont Merkel est la meilleure image, au regard de sa réussite, mais aussi la pire car en partie vue comme centriste.

Quid de Armin Laschet qui se présentera à la chancellerie pour remplacer Merkel ?

Il est sur la même ligne, consistant à dire qu'il ne faut pas rester les mêmes erreurs qu'en 2015. Mais il est très prudent et assez effacé. Il espérait qu'en ne disant rien, la CDU resterait à son niveau habituel des sondages et qu'il deviendrait chancelier facilement. Mais cette absence lui est reprochée car il apparaît comme peu entreprenant et il va devoir affirmer des positions plus claires et franches afin de prouver qu'il a l'étoffe d'un dirigeant. Si jamais il le devient, il devra tout de même composer avec l'aile conservatrice de la CDU et leur accorder des responsabilités gouvernementales. Par ailleurs, Armin Laschet a été élu par des délégués. Il n'est pas certain qu'il serait à ce poste via un scrutin par la base.

Nous avons donc une CDU perçue comme centriste, débordée par la droite de son parti et par l'extrême droite. Est-ce là l'explication du discours moins conciliant de Merkel sur les migrants ? Ménager l'aile droite afin qu'elle n'aille pas voter pour l'AFD ?

C'est sûr et c'est déjà un risque. En Thuringe [un land du centre-est·; N.D.L.R] c'est déjà un peu le cas. Hans-Georg Maassen, qui est candidat pour la CDU aux législatives dans la région, tient des propos presque pires que ceux de l'AFD. Il ne serait pas contre des alliances avec ce mouvement au niveau local. Précisons au passage que les fédérations de l'est sont plus conservatrices. Mais, la direction de la CDU a du mal à lui reprocher ses paroles car ils tentent de ménager la chèvre et le chou. Ce sont des électeurs à ne surtout pas perdre car ils pourraient se tourner vers l'extrême droite. Et ils le savent très bien.

D'ailleurs, toujours en Thuringe, en février 2020, Thomas Kemmerich, du parti libéral démocrate allié à la CDU, a été élu en partie avec les voix de l'AFD. Les conservateurs étaient tellement opposés à Die Linke [extrême gauche·; N.D.L.R] qu'ils se sont alliés, de facto, avec Björn Höcke qui est presque un néonazi. Tout ceci explique un discours un peu plus dur sur les migrants.

 
 
 
 
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