04
nov
2019
Espace Média L'Ifri dans les médias
Laurence NARDON, interviewée par Virginie Robert pour Les Echos

« Le parti démocrate doit se choisir une nouvelle ligne »

Selon Laurence Nardon, le scrutin est doublement important pour les démocrates, qui doivent battre Donald Trump et redéfinir leur identité. Or, ce double impératif dépendra de la personnalité qui sera choisie lors de l'investiture. Et les programmes sont extrêmement divers.

les_echos_logo.jpg
Quel est l'impératif du Parti démocrate aujourd'hui ?

L'impératif est double : battre Trump et sortir du chaos idéologique. Le Parti doit se choisir une nouvelle ligne. Le problème est qu'il risque de s'en faire une par accident. Ce sera celle de la personne qui emportera l'investiture. Pour l'instant, c'est assez ouvert. On parle beaucoup d' Elizabeth Warren mais Joe Biden a encore toutes ses chances.  Pete Puttigieg , le maire homosexuel et chrétien de South Bend, remonte légèrement.

Le champ des candidats démocrates est très encombré et la campagne a débuté tôt, pourquoi ?

En 2016, la campagne avait aussi commencé très tôt côté républicain et pour la même raison, parce qu'il n'y avait pas de candidat naturel… Pour les démocrates, cette fois-ci, la campagne de 2020 est celle de l'après-Clinton, Bill et Hillary à la fois. Durant les deux mandats d'Obama, Hillary était la candidate naturelle et cela a empêché l'émergence d'une nouvelle génération. C'est pour cela qu'on a autant de postulants aujourd'hui, le tri se fera dans les mois à venir. Cela a aussi eu une conséquence dans le domaine des idées. Dans les années 1980, ceux qu'on a appelés les nouveaux démocrates, dont Bill Clinton et Al Gore, étaient convaincus du bien-fondé des idées libérales sur les questions économiques. Or, on a observé depuis cette époque un enrichissement des élites et l'explosion des inégalités. Cela oblige les démocrates à repenser leur ligne idéologique.

On note un virage très à gauche…

Il y a toutes les couleurs de l'arc-en-ciel dans les programmes des candidats démocrates aujourd'hui. Il y a encore des « New democrats », mais aussi Bernie Sanders qui se présente comme un anticapitaliste et un socialiste, au sens européen. Il séduit les jeunes avec un côté anti-establishment. Elizabeth Warren, elle, croit au capitalisme. Mais elle veut qu'il soit équitable. Elle fait le même constat que Trump, les élites ont triché et ont détourné le système à leur profit, et la classe moyenne en fait les frais et ne peut plus s'enrichir. Elle voudrait revenir au capitalisme des années cinquante, qui profitait au plus grand nombre, mais elle fait très peur à Wall Street car elle veut réguler de façon beaucoup plus drastique. Elle envoie donc des émissaires partout, pour rassurer l'establishment du parti, mais aussi les grands financiers et la Silicon Valley, en expliquant qu'elle veut seulement réguler pour que chacun ait sa chance. Un autre défi pour elle est de séduire les minorités, en leur assurant qu'elles pourront profiter de l'ascenseur social.

Le parti démocrate s'appuie toujours sur les communautés ?

Dans les années 1970, le parti démocrate a pris le relais du mouvement des droits civiques et a ouvert beaucoup plus largement les portes du parti pour intégrer des minorités. Depuis, le parti propose à chaque élection une liste de mesures qui servent chaque minorité une par une. Le programme d'Hillary Clinton en était la caricature en 2016. Sanders s'y est d'ailleurs opposé avec un « programme pour tout le monde ». Aujourd'hui, certains candidats sont toujours sur cette ligne : ils proposent un programme de multiculturalisme « fois mille », autour de l'idée que tout le monde est une victime. Les derniers à en profiter sont les personnes transgenres. L'idée d'offrir des réparations aux descendants d'esclaves vient aussi de là.

Quel rôle peut jouer le processus de destitution ?

Pour les républicains, c'est une opportunité formidable. Ils peuvent accuser les démocrates de polluer la campagne. Car ce n'est pas la Chambre des députés qui a voté pour lancer la procédure, mais la Speaker, Nancy Pelosi, qui a pris seule la décision. Elle l'a fait parce qu'il y a eu un effet d'accumulation des affaires concernant Trump, à commencer par l'ingérence russe dans la précédente élection, et la peur pour le parti d'être mal jugé par l'Histoire.

Après l'expérience malheureuse de 2016, plusieurs règles concernant les délégués et le financement ont été changées ?

Durant la dernière campagne, on a soupçonné Hillary Clinton d'avoir manoeuvré contre Sanders pour gagner l'investiture du parti. Du coup, le rôle et le nom des super délégués ont été modifiés : ils ne voteront plus que si un premier tour de scrutin des délégués démocrates élus dans chaque Etat n'a pas donné de majorité à un candidat lors de la Convention. Quant au financement, Elizabeth Warren s'est engagée à ne pas prendre d'argent des Super PAC [NDLR : comités d'action politique dont les dons ne sont pas plafonnés] pendant la primaire. Elle a été suivie par tous les autres, sauf Joe Biden. Beaucoup de candidats rejettent aussi l'argent des groupes pétroliers.

Copyright Les Echos/ Virginie Robert

Lire l'interview sur Les Echos

 

Mots-clés
Elections américaines 2020 Parti démocrate Etats-Unis