11
juin
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Alice Ekman
Alice EKMAN, interviewée par Claude Leblanc pour L'Opinion

Sommet Kim-Trump : « La Chine demeure un acteur incontournable »

Pour Alice Ekman, responsable des activités Chine au centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), rien n’aboutira dans la péninsule sans la participation de Pékin

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Peut-on dire que l'ombre de Xi Jinping plane sur le sommet Kim-Trump ?

Oui, car sur le dossier nord-coréen, la Chine demeure un acteur incontournable : de par sa proximité géographique avec la Corée du Nord, de par son levier économique - difficile de maintenir ou de lever les sanctions économiques sans le concours de Pékin.

Elle l'est également de par sa proximité historique, politique et idéologique avec Pyongyang, depuis la signature avec la Corée du Nord en 1961 d'un « Traité d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle ». Surtout, Xi Jinping apparaît déterminé à vouloir continuer à jouer un rôle actif sur ce dossier : c'est le message qu'il a fait passer ces derniers mois. Les dirigeants chinois et coréens se sont rencontres à deux reprises sur le sol chinois, et longuement, depuis mars, en préparation de ce sommet.

 

Que peut accepter la Chine d'une détente véritable et durable dans la péninsule coréenne et que ne peut-elle pas accepter ? Pensez-vous qu'elle cherchera à terme à en chasser les Américains dont la présence ne sera plus vraiment justifiée ?

Oui, c'est ce qu'elle cherche déjà, étape par étape. En 2017, la Chine avait proposé, sans succès, la suspension des tests de missiles nord-coréens en échange de la suspension des exercices militaires conjoints Etats-Unis/Corée du Sud. Si elle doit aujourd'hui mettre à jour cette proposition compte tenu de l'évolution de la situation en 2018, l'objectif reste le même. Pékin considère que des concessions côté nord-coréens sont acceptables si et seulement si les États-Unis accordent eux-mêmes des concessions significatives menant à la réduction de leur présence dans la région. Hormis la suspension des exercices militaires conjoints, Pékin se réjouirait de la réduction du nombre des troupes américaines basées sur le territoire sud-coréen ou de leur retrait, ou de la mise hors fonction du bouclier américain anti-missile THAAD présent sur le territoire sud-coréen.

 

Est-ce que le règlement du dossier nord-coréen va contribuer à mettre la question taïwanaise sur le devant de la scène et accroître les tensions sino-américaines ? Si oui, comment Pékin va s'adapter à cette situation ?

Le dossier est loin d'être réglé. Quelle que soit l'issue de la rencontre entre Kim et Trump, le processus de négociation sur la « dénucléarisation » sera dans tous les cas complexe et long et la Chine s'efforcera de peser sur la suite des négociations pour les orienter vers sa propre stratégie régionale, qui vise, sur le long terme, à réorganiser la région au-delà du système des alliances. Concernant Taïwan, le niveau de tension dans le détroit est déjà élevé en ce moment. Les États-Unis et la Chine sont plus que jamais en opposition sur ce dossier. Xi Jinping ambitionne toujours, à terme, la réunification.

Le ton est monté d'un cran lors du dernier « Shangri-la » dialogue qui s'est tenu à Singapour il y a dix jours. Le secrétaire américain à la Défense James Mattis a rappelé le soutien des États-Unis à Taïwan, en mentionnant explicitement le « Taiwan Relations Act » et en confirmant que Washington était disposé à fournir de nouveaux équipements militaires à l'île. En parallèle, une « guerre diplomatique » fait rage dans le détroit, Pékin gagne de nouvelles relations diplomatiques officielles au dépend de Taïwan qui apparaît de plus en plus isolé. Dernier revers en date : le Burkina Faso qui a rompu avec Taipei au profit de Pékin. Règlement du dossier nord-coréen ou pas, Taïwan continuera à être un point de tension majeur dans la région, et pourrait devenir dans les prochaines années le principal point cristallisation des rivalités sino-américaines - qui n'ont pas cessé de se renforcer ces dernières années.

 

Voir l'interview sur le site de L'Opinion

 

 

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Donald Trump Chine Corée du Nord