07
oct
2023
Espace Média L'Ifri dans les médias
Dominique DAVID, interviewé par Francis Borchet pour Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA)

En Ukraine, « le risque d'une guerre bloquée »

Pour Dominique David, de l’Institut français des relations internationales (Ifri), « le scénario de la guerre longue en Ukraine n’était pas écrit au début ». Entretien.

Le conflit en Ukraine, commencé il y a plus de 18 mois, était-il condamné à être une guerre longue ?

La première cause de cette durée est la relative impuissance de la Russie, qui s’attendait à une victoire rapide. La seconde est la résistance des Ukrainiens, et la Russie a, d’une certaine manière, créé, cristallisé cette volonté nationale de résistance. Enfin, l’aide occidentale à l’Ukraine, qui estmesurée, subtile (nous ne voulons pas que les Russes ni les Ukrainiens ne nous emmènent là où nous ne voulons pas aller, la confrontation directe), mais quand même massive. Le scénario de la guerre longue n'était donc pas écrit au début.

Peut-on envisager d’aller vers un conflit gelé, de basse intensité, comme déjà en Ukraine après 2014 ?

C’est une hypothèse, un conflit bloqué, sans résolution diplomatique, qui peut durer un moment, étant entendu qu’un conflit gelé peut être très violent. Une autre hypothèse est le déblocage de la situation : soit les Ukrainiens arrivent à s’imposer militairement, de façon à contraindre les Russes à négocier, soit, à l’inverse, les Russes parviennent à regagner du terrain, ce qui est peu vraisemblable. Enfin, demière hypothèse, des éléments intemationaux (je ne parle pas de communauté intemationale, elle n’existe pas) font pression sur les protagonistes pour revenir à la négociation et de nouveaux accords de Minsk, tentative de réorganisation politique de l'expace guerrier.

Quelles sont les conditions pour commencer à parler de paix ?

II faut que l'un des protagonistes (ou les deux !) soit convaincu que la poursuite de la guerre le conduit à la catastrophe. On peut aussi décider de ré-intemationaliser le traitement diplomatique du conflit, en sortant du discours occidental qui est : seuls les Ukrainiens peuvent décider quand et quoi ils négocieront... Mais on sait bien que les Ukrainiens ne décideront pas
seuls. Ça ne passera sans doute pas par l’ONU, mais peut-être par des grandes puissances. Du côté russe, il faudrait que ce soit la Chine : pour l’instant, elle s’arrange d’une situation où une fausse alliance avec la Russie permet de la dominer, où les États-Unis mobilisés en Europe regardent moins vers le Pacifique... II en irait autrement si le risque nucléaire devenait crédible.

La fatigue des opinions peut-elle jouer ?

Un mot sur le moral des Russes : la résilience d’un peuple qui croit avoir été humilié depuis trente ans vient renforcer une résilience multiséculaire, faite de sujétion au pouvoir. Ne parions donc pas sur la lassitude des Russes... En Occident, pour le moment, les opinions publiques tiennent. Mais si on allait vers un conflit bloqué, qui exigerait un maintien d’une aide militaire importante, alors la lassitude menacerait. Reste le positionnement américain : je ne le vois pas changer de manière rapide, mais une érosion continue du soutien est possible avant l’élection présidentielle.

Ramsès 2024 : un monde à refaire (Dunod), ouvrage annuel de l’Ifri, codirigé par Dominique David.

 

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