26
sep
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Hans STARK, interview parue dans Le Figaro. Propos recueillis par Patrick Saint-Paul

« Une révolution de palais couve à Berlin »

Spécialiste des relations franco-allemandes à l'Ifri, Hans Stark décrypte le nouveau revers subi par la chancelière, mardi, avec la défaite de son bras droit au Bundestag, Volker Kauder, qui était président du groupe parlementaire CDU-CSU depuis treize ans.

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LE FIGARO.- Que reste-t-il de l'autorité de la chancelière après ce nouveau revers ?

Hans STARK.- Angela Merkel vit un phénomène d'érosion de son pouvoir, accéléré par sa gestion de la crise migratoire. Ralph Brinkhaus incarne l'aile droite de la CDU, surtout sur le plan économique. Il fait partie de ceux qui freinent les réformes de la zone euro. De ce point de vue, son élection à la tête du groupe CDU/CSU est une mauvaise nouvelle pour Emmanuel Macron. Mais la fédération CDU de la Rhénanie-du -Nord-Westphalie, dont il est issu, est dirigée par un proche de Merkel. Elle n'aura donc pas face à elle un second Horst Seehofer (son turbulent ministre bavarois de l'Intérieur, NDLR) qui ferait tout pour entraîner sa chute.

Brinkhaus dit vouloir travailler avec la chancelière. Cette défaite peut donc être vue comme un vote d'apaisement pour réconcilier la CDU et sa sœur bavaroise, la CSU, qui sont au bord de la rupture depuis plusieurs mois. Il faut attendre les élections du 14 octobre en Bavière et de voir si Seehofer se maintiendra ou non au gouvernement pour savoir si c'est le cas. Car il est évident qu'il peut aussi s'agir d'un début de révolution de palais. Depuis longtemps, la CDU reprochait à Volker Kauder de suivre Merkel de trop près. Le rôle du groupe parlementaire au Bundestag est de faire émerger des positions complémentaires ou alternatives à celles de la chancelière et pas seulement de mobiliser une majorité pour la soutenir.

  • « Ce qui tient la coalition, c'est la crainte d'élections anticipées »

La succession à Merkel est-elle en train de s'organiser ?

La chancelière a désigné Annegret Kramp-Karrenbauer, qui incarne sa tendance centriste au sein de la CDU, comme secrétaire générale pour qu'elle lui succède un jour à la présidence du parti, puis à la Chancellerie. Cependant, la CDU est désormais traversée par plusieurs courants et il n'est pas certain que Merkel imposera son successeur. Un courant plus conservateur, qui se rapproche des positions de la CSU, pourrait aussi tirer son épingle du jeu. Mais la CSU, à force de singer l'AfD, a ouvert un boulevard aux Verts, qui sont autour de 20 % dans les sondages en Bavière. Et ce risque existe aussi au niveau national pour la CDU.

Après la crise provoquée par l'affaire du chef du renseignement, qui a failli la faire voler en éclats, qu'est-ce qui tient encore la grande coalition ?

Ce qui tient la coalition, c'est la crainte d'élections anticipées. Dans la tradition allemande, hormis quelques rares exceptions, les chanceliers vont au bout de leur mandat de quatre ans. Surtout, une élection anticipée ferait monter le score de l'AfD, qui pourrait devenir la seconde force politique du pays. Les deux partis au pouvoir sortiraient affaiblis du scrutin. La question est de savoir jusqu'à quand la CDU voudra gouverner avec le SPD, de plus en plus fortement tiraillé par la nostalgie de l'opposition. Les libéraux du FDP ont rappelé que Merkel était le principal obstacle à la formation d'une coalition avec les Verts et la CDU. Depuis son revers au Bundestag, ils ont répété qu'ils sont prêts à reconsidérer leur position si Merkel quitte la Chancellerie. L'élection anticipée est l'option la moins probable. Si Merkel ne parvient pas à rétablir son autorité au sein de la coalition, elle s'exposera à une révolution de palais.

  • « Les classes moyennes peinent à se loger dans les grandes villes. C'est devenu l'une des questions sociales les plus brûlantes. Merkel veut introduire un système de frein aux loyers et lancer des projets de construction »

Comment le gouvernement peut-il reprendre la main ?

Hormis les questions de maîtrise des flux migratoires et de sécurité intérieure, qui mobilisent beaucoup d'énergie, le gouvernement travaille sur deux axes pour contrer le populisme. Les classes moyennes peinent à se loger dans les grandes villes. C'est devenu l'une des questions sociales les plus brûlantes. Merkel veut introduire un système de frein aux loyers et lancer des projets de construction. La situation démographique est devenue si complexe qu'elle a un impact sur de nombreux retraités, qui avec des pensions à moins de 1.000 euros sont guettés par la pauvreté. Rendre le logement accessible et améliorer le niveau des retraites sont de bonnes façons pour le gouvernement de montrer que les élites ne sont pas détachées des préoccupations du peuple.

L'Allemagne semble plus préoccupée par les problèmes intérieurs que par les grandes questions européennes. Quel impact l'affaiblissement de la chancelière a-t-il pour l'Europe ?

Sur les grandes questions européennes, l'Allemagne est très éloignée des réformes que souhaite mener Emmanuel Macron. La conjoncture économique est favorable, avec une croissance soutenue et une situation de plein-emploi. Dans ce contexte, il n'y a pas d'urgence pour Berlin à réformer la zone euro et à se diriger vers une union de transferts, alors que le problème de la solidarité avec les pays du sud de l'Europe, au premier chef la Grèce, était à l'origine de la naissance de l'AfD.

  • « Macron provoque des crispations au sein du camp de Merkel »

Angela Merkel semble aussi nourrir des doutes sur la stratégie d'Emmanuel Macron, qui s'érige en rempart contre l'extrémisme aux élections européennes de 2019…

L'attitude de Macron pose problème. Il provoque des crispations au sein du camp de Merkel. La CSU manifeste sa volonté de se rapprocher du groupe de Visegrad. Orban est régulièrement invité en Bavière, où il n'est pas un paria, pour disserter sur les questions européennes. Au-delà du problème de la CSU, l'Allemagne pour des raisons essentiellement historiques mais aussi économiques ne veut pas se fermer à l'Europe de l'Est, notamment la Pologne. Berlin ne veut pas d'une Europe à deux vitesses, ni d'une avant-garde de la zone euro. L'Allemagne mise sur une Europe des Vingt-Sept. À travers son discours polarisant, qui désigne les bons et les mauvais européens, Macron pousse les capitales de l'Est à fermer leurs portes. L'Allemagne, elle, n'a pas renoncé à poursuivre le dialogue pour les convaincre d'accepter des quotas de migrants et de jouer un rôle plus constructif dans la gestion des problèmes migratoires.

 

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