15
déc
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Vladimir Poutine, Moscou,11 mai 2020.
Tatiana KASTOUEVA-JEAN, interviewée par Ronan Planchon pour le Figaro

«Vladimir Poutine a trop à perdre à envahir l'Ukraine»

ENTRETIEN - Depuis quelques semaines, la Russie déploie de nombreux soldats à sa frontière avec l'Ukraine. Pour la spécialiste de la Russie, Moscou cherche ainsi à mettre la pression sur les Occidentaux pour faire respecter les accords de Minsk sans pour autant préparer une invasion de l'Ukraine.

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Tatiana Kastouéva-Jean est diplômée de l'Université d'État de Ekaterinbourg, du Master franco-russe en relations internationales Sciences-Po/Mgimo à Moscou et a également obtenu un DEA de relations internationales à l'université de Marne-la-Vallée. Elle est responsable du Centre Russie de l'Ifri.

 

LE FIGARO. - Des dizaines de milliers de soldats russes sont amassées le long des frontières ukrainiennes. Comment interpréter ces mouvements ?

Tatiana KASTOUEVA-JEAN. - Je ne pense pas que Vladimir Poutine prépare une invasion de l'Ukraine ni une guerre. Poutine cherche à faire pression sur le président ukrainien Zelensky et ses partenaires occidentaux pour, notamment, faire exécuter les accords de Minsk. Il reproche aux Occidentaux de faire le jeu de l'Ukraine en freinant volontairement leur exécution (NDLR, le protocole de Minsk est un accord signé en février 2015 par les représentants de l'Ukraine, de la Russie, de la République populaire de Donetsk (DNR) et de la République populaire de Lougansk (LNR) pour mettre fin à la guerre en Ukraine orientale).

Depuis son arrivée au pouvoir, Zelensky est progressivement devenu un interlocuteur difficile pour les Russes. Il a décrété des sanctions contre Viktor Medvedtchuk, dont Poutine est le parrain de l'une des filles, il a fermé trois médias pro-russes appartenant à Medvedtchuk, et il a lancé la plateforme de Crimée (NDLR, une initiative des autorités ukrainiennes visant à contribuer à la désoccupation de la Crimée).

  • Au-delà de la question de préparation technique à un assaut, sur laquelle les services de renseignement américains et européens ne semblent d'ailleurs pas complètement d'accord, les risques géopolitiques sont énormes pour la Russie, Tatiana Kastouéva-Jean

Les Russes voient que les outils diplomatiques ne fonctionnent pas, alors que le temps avance en faveur Ukraine, qui se rapproche de l'OTAN et de l'UE. Ils ont donc décidé de jouer les muscles sur le plan militaire pour mettre sous tension les Occidentaux, faire monter les enchères et obtenir ainsi une meilleure base de négociations.

En cas d'invasion de l'Ukraine, la Russie risque aussi de se retrouver dans l'œil du cyclone de l'Occident...

Au-delà de la question de préparation technique à un assaut, sur laquelle les services de renseignement américains et européens ne semblent d'ailleurs pas complètement d'accord, les risques géopolitiques sont énormes pour la Russie: de nouvelles sanctions, l'arrêt probable du projet de gazoduc Nord Stream 2, voire la sortie de la Russie du système Swift agité par les Américains (NDLR, l'organisation Swift fournit un réseau sécurisé autorisant plus de 10.000 institutions financières dans 212 pays différents à envoyer et recevoir des informations sur les transactions financières effectuées entre elles). Or, en 2019, Dmitri Medvedev, l'ancien président russe (2008-2012) avait estimé que la coupure de SWIFT serait interprétée par la Russie comme une déclaration de guerre par l'Occident.

En outre, si l'on spécule sur une éventuelle invasion, envahir les parties séparatistes de l'Ukraine ne servirait pas à grand-chose. Elles sont, de fait, déjà intégrées à l'économie russe parce que près de 700.000 personnes ont reçu des passeports russes, les entreprises de la région ont accès aux marchés publics russes et elles bénéficient d'aides financières. Ces régions séparatistes sont beaucoup plus utiles à Moscou au sein de l'Ukraine, car si elles peuvent servir de levier de pression pour orienter les choix stratégiques ukrainiens, comme l'adhésion à l'UE et à l'OTAN, etc. Les accords de Minsk stipulent justement que ces régions doivent avoir un statut autonome particulier et pourront ainsi bloquer les décisions du gouvernement de Kiev s'ils vont à l'encontre des intérêts de la Russie. Ce qui explique pourquoi Moscou veut que ce texte soit respecté à la lettre, et pourquoi le président ukrainien n'est pas pressé de les faire appliquer.

Envahir les régions qui ne sont pas séparatistes, mais sont sous le contrôle de Kiev est une autre paire de manche. La Russie y aurait affaire à une population, qui n'est pas constituée que de pro-russes. Je ne vois pas comment une telle occupation pourrait être tenable économiquement, socialement, politiquement et géopolitiquement.

Les exigences russes à l'égard des Occidentaux se limitent-elles au seul dossier ukrainien ?

D'une manière surprenante, cette fois, les Russes ont profité de l'escalade militaire pour aller plus loin dans leurs exigences à l'égard des Occidentaux, au-delà du cas ukrainien. Ils ont réclamé que les préoccupations sécuritaires de la Russie en Europe soient prises en compte dans les négociations : non-élargissement de l'OTAN, non-installation des systèmes d'armes proches des frontières russes. Ils souhaitent obtenir des engagements juridiquement contraignants, écrits et de longue durée. Pour la Russie, Mikhaïl Gorbatchev a commis une faute originelle en ne demandant aucun engagement par écrit des Occidentaux sur le non-élargissement de l'OTAN au moment de la réunification de l'Allemagne. Ce reproche aux Occidentaux de ne pas avoir respecté leurs engagements est un sujet récurrent dans le discours russe.

  • L'ouverture de négociations sur les préoccupations sécuritaires des uns et des autres pourrait, pourtant, contribuer à une certaine stabilisation de la confrontation, Tatiana Kastouéva-Jean

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