05
mai
2023
Espace Média L'Ifri dans les médias
Irpin, Ukraine - 5 mars 2022 : Un soldat ukrainien se tient au poste de contrôle de la ville d'Irpin, près de Kiev, pendant l'évacuation de la population locale sous les bombardements des troupes russes.
Dimitri MINIC, interviewé par Hugues Maillot pour Le Figaro

Dimitri Minic : « En Ukraine, les Russes ont voulu contourner la lutte armée, mais ce fut un fiasco total »

Dimitri Minic est chercheur au Centre Russie/NEI de l'Ifri, docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université et spécialiste de la culture politico-stratégique russe. Il publie aux Éditions de la Maison des sciences de l'homme Pensée et culture stratégiques russes. Du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine. Dans un livre déjà de référence, Dimitri Minic analyse comment les théoriciens militaires russes ont pensé les caractéristiques d'une guerre de moins en moins centrée sur la lutte armée. Et les conséquences de cette méthode en Ukraine.

figaro international

LE FIGARO.- Votre livre traite du « contournement de la lutte armée » comme élément essentiel de la culture militaire russe contemporaine. En quoi consiste cette doctrine ?

Le contournement de la lutte armée n'est pas une doctrine mais un tropisme théorisé par les stratégistes russes depuis la chute de l'URSS, et qui a fini par investir les discours des officiers militaires et politiques, puis les doctrines. Dans les années 1990, très marquées par la Guerre froide et la dislocation de l'URSS sans confrontation militaire directe, les élites militaires ont commencé à théoriser l'idée que la lutte armée passait au second plan dans l'atteinte des objectifs politiques décisifs. Elles ont fini par changer leur concept de guerre et considérer que la guerre commençait en réalité bien avant les actions de combat directes et même que ces dernières n'étaient plus obligatoires ; que les moyens non militaires (informationnels, cybernétiques, économiques, diplomatiques, politiques, financiers, culturels…) et militaires indirects (forces spéciales et paramilitaires, insurgés, dissuasion stratégique, emploi dissimulé d'unités régulières…) étaient aujourd'hui assez puissants et efficaces. [...]

Les accords de Minsk 2 en 2015 étaient l'acmé de cette stratégie gagnante. Mais cette version du contournement est aussi appliquée, avec des instruments plus ou moins différents, dans le reste de l'espace post-soviétique, en Occident et en Afrique notamment. 

Vous dites que ce « tropisme » a été décisif dans l'échec initial de l'« opération militaire spéciale ». Pourquoi ?

Les militaires russes ont aussi théorisé le contournement en considérant que les actions indirectes occupaient la majeure partie du processus de guerre. Ce processus s'achève par une lutte armée décisive mais limitée et principalement à distance. C'est ce que l'opération militaire spéciale était censée être. Non seulement Moscou pouvait compter sur tout le travail de subversion russe en Ukraine depuis 2014, mais il a clairement renforcé cette subversion et la déstabilisation du pays à partir de 2021. [...] L'opération militaire spéciale devait être la conclusion armée, mais limitée de toutes ces actions indirectes. Sauf que cette deuxième application du contournement a été un fiasco total. 

Moscou a surestimé non seulement la capacité du contournement à atteindre des objectifs politiques décisifs, mais aussi sa propre capacité à mettre en œuvre le contournement. Ce qui devait être une opération spéciale est devenu une guerre longue de haute intensité et très meurtrière pour laquelle l'armée n'avait absolument pas été préparée.

 

> Lire l'interview dans son intégralité sur le site du Figaro

 

 

Mots-clés
culture stratégique russe guerre en Ukraine pensée stratégique russe Russie Ukraine