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L’OPEP dans le piège du pétrole de schiste américain

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cité par Nabil Wakim dans

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Le cartel pourrait décider, jeudi à Vienne, de nouvelles baisses de production, pour tenter de faire remonter les cours, qui ont connu une chute spectaculaire en novembre.

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C’est une large voie rapide, chargée de camionnettes poussiéreuses qui filent droit vers un désert sec et sans âme. Pourtant, la route entre Midland et Odessa, dans l’ouest du Texas, et ses vagues de pick-up qui transportent les travailleurs de l’or noir, est encore en train de déstabiliser le marché mondial. Ici, au cœur du Bassin permien, la production du pétrole de schiste bat toutes les prévisions et fait gonfler l’offre mondiale. Résultat : les prix menacent une nouvelle fois de s’effondrer.

Entre octobre et fin novembre, le cours du baril a chuté, passant de plus de 80 dollars (70 euros) à moins de 60 dollars. Un mini-krach pétrolier, une baisse de plus de 25 % – du jamais-vu depuis une décennie, alors que les prix étaient orientés à la hausse depuis plus d’un an.

Jeudi, les représentants de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) se réunissent à Vienne, au siège de l’organisation, pour tenter de trouver une réponse à ce casse-tête stratégique aux multiples entrées. Au menu : l’isolement saoudien, l’imprévisibilité du président américain Donald Trump, la demande chinoise et les intentions russes. Avec un risque croissant de déstabilisation de l’économie mondiale, si le marché reste aussi volatil.

Alliance avec la Russie

Pour comprendre ces bouleversements, il faut remonter à 2014. Alléchés par les prix élevés, les producteurs américains commencent à redévelopper la technologie de forages horizontaux qui permettent d’extraire du pétrole de schiste.

L’arrivée de millions de nouveaux barils sur le marché fait rapidement baisser les cours. Les Saoudiens, qui dirigent l’OPEP de fait, ne réagissent pas : ils espèrent que les prix bas conduiront les Américains à mettre la clef sous la porte. Certes, beaucoup souffrent, mais ils résistent, et le résultat obtenu est inverse à celui souhaité par Riyad : les cours s’écroulent et descendent jusqu’à 28 dollars le baril en 2016.

L’OPEP n’a plus le choix, elle doit riposter. Après de longues négociations, le cartel s’allie avec la Russie de Vladimir Poutine, grâce aux relations que nouent les ministres saoudien et russe du pétrole, Khalid Al-Falih et Alexander Novak. En novembre 2016, ils signent la déclaration de Vienne, dans laquelle ils s’engagent à réduire leur production de manière draconienne.

A partir de juin 2017, les prix du brut commencent à remonter sensiblement. A 65 dollars le baril, les pays dont l’économie dépend entièrement du pétrole, comme l’Arabie saoudite, l’Algérie ou l’Irak, respirent. Mais ce relèvement est également une planche de salut pour les Américains, qui reprennent les forages de plus belle. Les Etats-Unis ravissent ainsi à la Russie la place de premier producteur mondial.

Pression des Etats-Unis

Un autre acteur – et pas des moindres – s’invite dans le débat : Donald Trump, dont les soutiens dans l’industrie pétrolière américaine ont largement profité de la hausse des prix, voit d’un mauvais œil cette flambée. Des cours élevés font monter les prix de l’essence pour les conducteurs américains, qui sont aussi des électeurs. Sur Twitter, le président des Etats-Unis s’en prend violemment à l’OPEP, en pressant le cartel de cesser les réductions de production pour faire baisser les prix.

Dans le même temps, le locataire de la Maison Blanche décide de sortir les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et de rétablir des sanctions – « les plus dures de l’histoire » – sur le pétrole de la République islamique, en mai 2018. Les marchés paniquent devant la perspective d’une pénurie, alors que la demande mondiale reste très forte, tirée par les besoins de la Chine.

En juin, sous la pression américaine, les Saoudiens et l’OPEP s’engagent à augmenter la production afin de compenser la perte des barils iraniens. Mais cette hausse relative n’enraye pas la montée des prix.

Deux événements, d’ordre très différent, vont alors perturber le jeu pétrolier mondial. D’abord, la sinistre affaire Khashoggi, du nom de ce journaliste saoudien assassiné le 2 octobre dans les locaux du consulat de son pays à Istanbul, probablement sur ordre du prince héritier Mohammed Ben Salman, dit « MBS ». Acculé sur le plan international, le royaume wahhabite a besoin du soutien de Donald Trump et augmente soudainement sa production pour désamorcer la tension sur les prix.

Offre désormais abondante

Au même moment, Donald Trump et son administration décident, à la surprise générale, d’octroyer des exemptions pour huit pays importateurs de pétrole iranien – dont la Chine et l’Inde. Une décision qui provoque le courroux des Saoudiens, qui n’ont pas été prévenus. « C’est une nouvelle illustration du fait que l’alliance entre Washington et Riyad est moins stratégique maintenant que les Américains ont le pétrole de schiste », note un connaisseur du secteur.

Par conséquent, les barils iraniens sont toujours sur le marché, les Saoudiens ont augmenté leur production et le pétrole de schiste américain bat des records. Résultat : l’offre abondante fait baisser les prix, alors que, depuis septembre, le monde consomme plus de 100 millions de barils par jour.

Jeudi, dans les couloirs de l’OPEP, les Saoudiens espèrent convaincre leurs partenaires de repartir pour un tour : ils plaident pour de nouvelles réductions de production, de l’ordre de 1,3 million de barils par jour, pour faire remonter les cours au-delà de 70 dollars.

Dimanche 2 décembre, en marge du G20 à Buenos Aires (Argentine), le président russe, Vladimir Poutine, s’est dit prêt à soutenir une telle démarche, sans pour autant s’engager sur des volumes précis.

  • « Les Russes n’ont pas envie de réduire, mais ils peuvent s’engager sur des montants symboliques. D’autant que l’hiver est en général un moment où la production décline », analyse Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie de l’Institut français des relations internationales.

Grande volatilité

« Les Saoudiens se trouvent dans une situation délicate, constate Francis Perrin, directeur de recherches à l’Institut des relations internationales et stratégiques et connaisseur de la région. Ils ont besoin de convaincre les autres pays d’accepter des coupes, mais ils doivent faire attention à ne pas énerver Trump. »

« L’ensemble du marché est désormais persuadé que MBS est soumis à Donald Trump et qu’il ne pourra pas lui refuser une nouvelle baisse des prix », explique l’analyste Amrita Sen dans une note pour le cabinet Energy Aspects. Sans accord, jeudi, les prix de l’or noir pourraient chuter de 7 à 10 dollars, prévient-elle.

Les pays de l’OPEP ne parviennent pas à s’extraire du piège du pétrole de schiste : s’ils réduisent la production pour faire monter les prix, ils se renflouent, mais laissent la place aux Américains, trop heureux d’accroître leurs volumes et d’exporter. S’ils laissent les prix chuter, ils mettent en péril leurs économies, fortement « pétro-dépendantes ».

Riyad a bon espoir d’amener le cartel à réduire de nouveau la production. Cette ambition affichée a d’ailleurs permis au cours du baril de remonter légèrement, mercredi, à environ 61 dollars.

Cependant, tous les observateurs s’attendent désormais à une grande volatilité. Dans quelques mois, en effet, le Texas devrait inaugurer un nouveau réseau d’oléoducs permettant d’exporter des millions de barils supplémentaires.

Copyright Nabil Wakim / Le Monde

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Marc-Antoine EYL-MAZZEGA

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Directeur du Centre énergie et climat de l'Ifri

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