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sep
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Vladimir Poutine, Moscou, Russie, mars 2022.jpg
Dimitri MINIC, interviewé par Clément Daniez pour L'Express

Mobilisation partielle par Poutine : "Le Kremlin est en situation de panique totale"

Face aux succès de la contre-offensive ukrainienne, Vladimir Poutine a choisi l'escalade. Le président russe a annoncé ce mercredi 21 septembre la "mobilisation partielle" des réservistes de son armée, au lendemain de l'annonce de "référendums" d'annexion dans les régions contrôlées par Moscou en Ukraine, du 23 au 27 septembre. Il a également procédé à un nouveau chantage nucléaire, en précisant être prêt à utiliser "tous les moyens". Décryptage avec Dimitri Minic, chercheur au centre Russie/NEI de l'Institut français des relations internationales (Ifri). 

L'Express : Pourquoi Vladimir Poutine annonce maintenant une mobilisation partielle ?

Dimitri Minic : Car la Russie a subi un nouveau revers, peut-être fatal pour cette opération spéciale, qui n’en est plus une depuis l’échec des premiers jours de l’invasion : le succès de la contre-offensive ukrainienne a été un électrochoc, au Kremlin comme dans les milieux médiatiques, politiques et militaires russes. Ce recours à la mobilisation est souhaité depuis plusieurs mois par de nombreuses commentateurs en Russie. Le Kremlin est en situation de panique totale, car ils avaient tout fait pour éviter une mesure de mobilisation comme celle-ci, en s'appuyant en particulier sur des bataillons de volontaires grassement rémunérés. Le Kremlin ne veut cependant pas d'une mobilisation générale, qui serait un test grandeur nature de la véritable adhésion de la jeunesse russe à cette guerre.

À quoi correspond concrètement cette mobilisation partielle ?

Il ne s'agit pas des probables deux millions de réservistes dont la Russie dispose. Poutine a spécifié qu'il s'agissait des réservistes qui possèdent des spécialités ou une expérience pertinente. Mais, de fait, ceux qui ont reçu un entraînement plus ou moins régulier ne sont probablement pas plus de 5000. La mobilisation partielle ce serait la réserve, mais pas toute. Si on élargit le spectre à ceux qui ont reçu une formation depuis la fin de leur service, cela peut monter jusqu'à 200 000 hommes, selon des estimations d'il y a quelques années, ce qui se rapproche du chiffre de 300 000 réservistes évoqué par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Mais entre ce qu'il annonce et ce dont il disposera, le chiffre pourrait être plus de deux fois inférieur.

Quid de leurs besoins de formation, avant de rejoindre le front ?

Une formation sérieuse est nécessaire pour 90% d'entre eux. Or cela prend du temps de former des combattants opérationnels pour le champ de bataille : en allant vite, il faudra peut-être un à trois mois. Mais le résultat ne peut être que médiocre sur le plan qualitatif, car ces réservistes, pour la plupart d'anciens conscrits des cinq dernières années, ne sont pas prêts psychologiquement à combattre les Ukrainiens, et ne disposent ni d'expérience, ni d'entraînements réguliers. Cela ne devrait donc pas changer le cours de cette guerre, alors que l'Ukraine commence à être en position de gagner ce conflit. Le rapport de force n'est plus à l'avantage de la Russie. Pour elle, l'objectif n'est plus d'attaquer, mais de défendre les territoires qu'elle va annexer. Apporter cette masse d'hommes peut théoriquement aider.

Cette mobilisation accompagne en effet l'annonce de référendums d'autodétermination voués à annexer les territoires occupés de Zaporijia, Kherson, Donetsk et Louhansk...

La proclamation d'indépendance, illégale, de ces territoires, vise à en faire de nouvelles provinces de la Russie. Cela permettra d'y envoyer les réservistes mobilisés pour les défendre. Poutine procède indirectement à un nouveau chantage nucléaire. Il cherche à jouer sur la peur prétendue des Occidentaux d'une escalade nucléaire pour les inciter à obtenir de Kiev un ralentissement ou une cessation des contre-offensives. Les troupes ukrainiennes vont probablement essayer de progresser le plus vite possible dans le Donbass, où la Russie pourrait continuer à perdre des territoires, malgré la mobilisation dont l’effet positif, si tant qu’il y en ait un, sera de toute manière tardif. Si les Ukrainiens avancent trop vite, le Kremlin pourrait lancer une frappe nucléaire tactique.

Mais un tel recours, inédit depuis 1945, ne précipiterait-il pas la chute du régime de Poutine ?

Sur le plan politique, cela mènerait à l'isolement absolu de la Russie, y compris de la part des États restés neutres jusqu'à présent. Sur le plan militaire, il n'est pas sûr du tout que cela soit bénéfique, car les troupes ukrainiennes ne sont pas regroupées dans un seul endroit. Et puis, cela enhardirait les Ukrainiens, qui se sont peut-être préparés à l'éventualité de combattre dans un environnement radioactif. Pas sûr que cela soit le cas des Russes... Et c'est à double tranchant, les retombées atteindraient aussi les soldats russes. L’idée d’une frappe préventive sur Kiev est possible, même si c’est probablement illusoire d’y voir un moyen de contraindre l’Ukraine. Des armes chimiques et bactériologiques pourraient également être utilisées. Moscou activera tous les leviers nécessaires, jusqu’à ce que le levier activé de trop ne précipite l’effondrement de l’armée ou du régime de Poutine.

 

> Lire l'interview sur le site de L'Express.

Mots-clés
guerre en Ukraine Réassurance; OTAN; Forces terrestres; Vladimir Poutine Russie Ukraine