13
avr
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc-Antoine EYL-MAZZEGA, cité par Vincent Collen dans Les Echos

Pétrole : la trêve entre la Russie et l'Arabie saoudite stoppe la chute des cours

L'Opep et la Russie vont réduire leur production, cédant à la pression de Donald Trump. Les autres pays producteurs ne prennent aucun engagement ferme. Les cours du brut se stabilisaient lundi, mais les excédents pétroliers restent sans précédent, interdisant toute remontée significative dans l'immédiat.

Les Echos

C'est un cessez-le-feu, mais la planète pétrole, secouée par le choc de la pandémie, est toujours en guerre. L'Arabie saoudite et la Russie sont parvenues à s'entendre , après un long mois de bataille des prix et des parts de marché qui a vu les cours du brut retomber au plus bas depuis près de vingt ans . Les treize pays de l'Opep et leurs alliés menés par Moscou ont annoncé dimanche soir qu'ils réduiraient leur production de près de 10 millions de barils par jour à partir du 1er mai, et pendant deux mois.

Les barils ainsi soustraits au marché représentent 10 % de l'offre mondiale, un montant sans précédent dans l'histoire de l'or noir. La Russie et l'Arabie saoudite vont assumer la moitié de l'effort, réduisant chacune leur production de 2,5 millions de barils, une baisse de plus de 20 %.

« Big oil deal »

Donald Trump s'est immédiatement félicité de ce « big oil deal » dont il s'attribue le succès. Il permettra de sauver « des centaines de milliers d'emplois » dans l'industrie pétrolière aux Etats-Unis, selon lui. De fait, c'est le président américain qui a mis la pression sur Vladimir Poutine et Mohammed ben Salmane (« MBS »), au début du mois, pour qu'ils acceptent de se rencontrer.

C'est une victoire diplomatique et économique pour la Maison-Blanche car les Etats-Unis, eux, ne s'engagent à rien de concret. La réunion des ministres de l'Energie du G20, qui s'est tenue vendredi, n'a abouti qu'à une très vague déclaration sur « l'importance de la coopération internationale » pour « stabiliser les marchés de l'énergie ».

« Poutine et MBS ont été pris de court »

Pourquoi l'Arabie saoudite et la Russie ont-elles accepté de mettre leurs différends de côté ? D'abord parce qu'elles ne pouvaient plus tenir avec des cours aussi bas. « Poutine et MBS ont été pris de court par l'effondrement de la demande mondiale de pétrole, bien plus violent ce qu'ils pouvaient prévoir début mars », décrypte Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie de l'Ifri. A ce niveau de prix du brut, les deux puissances pétrolières souffrent et leurs recettes fiscales chutent au moment où elles doivent affronter, comme toute la planète, les graves conséquences économiques de la pandémie.

La chute de l'or noir assombrit l'horizon de nombreux pays

Moscou et Riyad ont également subi « un choc d'image », poursuit le chercheur, en apparaissant comme responsables du chaos dans des pays pétroliers pauvres, déjà fragilisés au moment où frappe la crise sanitaire. Les appels de l'Algérie ou de l'Irak ont joué.

Poutine n'a pas obtenu ce qu'il demandait

Enfin les relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis ont été déterminantes. Le soutien militaire de Washington est indispensable pour Riyad face à l'Iran. Et MBS a tout intérêt à la réélection de Trump, qui veut lui aussi mettre le régime de Téhéran à genoux au moyen de sanctions d'une redoutable efficacité.

L'intérêt de Vladimir Poutine à céder aux injonctions de la Maison-Blanche est moins évident. Le président russe avait averti, début avril, qu'il exigerait un engagement clair des Etats-Unis à réduire leur production, ce qu'il n'a pas obtenu. « Le Kremlin ne veut pas mettre trop de bâtons dans les roues du président américain, avance Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Trump à la Maison-Blanche, c'est la garantie d'une poursuite de l'effritement de l'alliance transatlantique entre Washington et l'Europe, un point crucial pour Moscou. » Les Etats-Unis et d'autres pays pétroliers comme le Canada, le Brésil ou la Norvège vont de toute façon réduire leur production dans les prochains mois avec des cours du brut aussi bas.

Insuffisant pour rééquilibrer le marché

Sur les marchés, l'accord de ce week-end a été reçu sans enthousiasme, même s'il a permis une stabilisation des cours à un niveau supérieur de 25 % aux plus bas atteints en mars. Le baril de brent s'appréciait de 2% lundi en début de soirée, à plus de 32 dollars. Il aurait fallu des réductions de production deux à trois fois supérieures pour rééquilibrer le marché. La consommation de pétrole devrait chuter de 27 millions de barils en avril, et encore de 20 millions en mai, estime le cabinet Rystad Energy.

Les réductions annoncées vont néanmoins alléger la pression sur un secteur qui risquait d'arriver avant l'été à court de capacités de stockage pour le pétrole excédentaire . « Le pire est évité dans l'immédiat », estime Per Magnus Nysveen, analyste de ce cabinet basé à Oslo. A plus long terme, l'Opep et la Russie ont promis de brider leur production de près de 8 millions de barils au second semestre, et encore de près de 6 millions jusqu'en avril 2022.

La demande chinoise repart

« Même s'il est mis en oeuvre de façon imparfaite, l'accord est important et il aura un impact sur le marché », juge elle aussi Ann-Louise Hittle, de Wood Mackenzie. Les stocks de pétrole, qui ont atteint un niveau record, devraient commencer à refluer au second semestre. L'experte souligne que la demande chinoise de brut est en train de reprendre. C'est la seule lueur d'espoir, à ce jour, pour les pays exportateurs de pétrole.

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