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Recep Tayyip Erdogan renforce son emprise sur la partie turque de Chypre

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citée par Marie Jego dans

  Le Monde
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Le président turc, lors d’une visite de deux jours en République turque de Chypre du Nord, a réitéré son soutien à une solution à « deux Etats distincts ».

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Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a effectué, lundi 19 et mardi 20 juillet, un séjour dans la partie nord de Chypre, où il a réitéré son soutien à une solution à « deux Etats distincts », plutôt qu’à la création d’une fédération bizonale et bicommunale, pour remédier à la partition de l’île. A Lefkosa, la partie turque de Nicosie, il a assisté, mardi, au défilé militaire célébrant le 47e anniversaire de l’intervention militaire turque qui a divisé l’île en deux, avec, au sud, la République de Chypre, membre de l’Union européenne (UE), et, au nord, la République turque de Chypre du Nord (RTCN), seulement reconnue par Ankara, qui y maintient trente mille soldats.

Durant les cérémonies, M. Erdogan a déclaré que les pourparlers de paix sur l’avenir de Chypre ne pouvaient avoir lieu qu’entre « les deux Etats » de l’île méditerranéenne. « Nous avons raison et nous défendrons notre droit jusqu’au bout », a-t-il déclaré.

Après des décennies de négociations infructueuses sous l’égide de l’ONU, en vue d’une réunification, la Turquie a changé son fusil d’épaule. « Il est hors de question de perdre cinquante années de plus » à négocier sur la base d’une fédération, a expliqué le numéro un turc devant le Parlement de la RTCN. Mais l’idée d’une solution à deux Etats est inadmissible pour la République de Chypre, la seule entité légitime, ainsi que pour l’Union européenne. En juin, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a assuré que Bruxelles « n’accepterait jamais » cette éventualité.

Réouverture d’une ville-fantôme

Un brin provocateur, le numéro un turc s’est rendu à Varosha, une ancienne station balnéaire située à la périphérie de Famagouste, promettant, comme il l’avait fait en octobre 2020, de rouvrir certains quartiers de la ville au public. Connue jadis comme le Saint-Tropez de la Méditerranée, Varosha a été abandonnée au moment de l’intervention militaire turque de 1974. Vidée de ses 15 000 habitants chypriotes grecs qui ont fui l’arrivée de l’armée turque, la ville est restée intouchée depuis, avec ses hôtels et ses villas abandonnés, ouverts aux quatre vents.

Décider d’ouvrir les plages et les rues de la ville fantôme sans concertation préalable avec la partie chypriote grecque compromet la perspective d’une solution. Les Chypriotes grecs, qui n’ont jamais touché de compensation pour la perte de leurs propriétés, craignent de se retrouver définitivement spoliés. La création par les Turcs d’une « commission des propriétés » ne contribue pas à les rassurer.

Le président de la République de Chypre, Nicos Anastasiades, a vivement condamné la décision turque, réclamant la protection des Nations unies pour la ville. Toutefois, le fait que seule une petite partie et non la totalité de l’ancienne station balnéaire ait été promise à la réouverture prouve qu’Ankara cherche à tester les réactions de la communauté internationale.

Alors que Chypre était relativement négligée par la Turquie depuis l’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs en 2002, la visite du président Erdogan illustre le retour de l’île en tant qu’élément géopolitique central dans la stratégie de projection de la puissance turque.

  • « La visite prend son sens dans le contexte d’un réinvestissement stratégique du dossier chypriote », souligne Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI). A l’évidence, la Turquie souhaite renforcer sa présence sur place. « La dynamique de l’emprise turque évolue actuellement en plusieurs lieux, qui illustrent la stratégie turque du fait accompli », explique la chercheuse.

Surveillance en Méditerranée

Dans une étude finalisée en juillet, l’IFRI, associée à Preligens, une start-up utilisant l’intelligence artificielle pour analyser des images satellites, expose cette dynamique. La décision unilatérale de rouvrir la ville de Varosha au public atteste des intentions d’Ankara. Selon les images satellites fournies par Preligens, une rénovation des routes est à l’œuvre et une présence humaine est repérable en ville.

Par ailleurs, les Turcs ont ouvert une base de drones sur l’aérodrome militaire de Gecitkale, dans la plaine de la Mésorée.

« Des drones du modèle Bayraktar TB2, vantés comme les meilleurs avions-robots du monde y ont été déployés »

Bien qu’assez sommaires pour le moment, les installations témoignent de la volonté d’Ankara de surveiller ce qu’il se passe en Méditerranée, notamment au niveau des prospections gazières et pétrolières.

Enfin, souligne l’étude,

« l’hypothèse de l’installation d’une base navale turque à Chypre Nord ressurgit régulièrement depuis 2018. Des amiraux turcs à la retraite ont évoqué l’importance vitale d’établir une base navale turque en RTCN, et la Turquie a commencé à travailler en juin 2019 sur un projet de port logistique en RTCN, destiné à répondre aux besoins logistiques des navires de guerre opérant en Méditerranée orientale. »

Gisements de gaz

La découverte de gisements de gaz, au large de l’île, décrits comme équivalents en volume à ceux de la mer du Nord, n’a fait que renforcer les tensions. Alors que Nicosie a invité les géants de l’énergie – Total, ENI, ExxonMobil, Noble Corporation – à exploiter ces gisements, Ankara crie à la spoliation, accusant la République de Chypre de faire main basse sur les richesses, au détriment des Chypriotes turcs qui se retrouvent exclus des futures retombées de la manne énergétique.

La Turquie perçoit les prospections comme une violation de ses droits souverains. Le fait que la République de Chypre ait noué des partenariats énergétiques, notamment avec l’Egypte et Israël, contribue à renforcer la sensation d’isolement côté turc. « Les Grecs ont fourni des bases à la France, des drones israéliens ont été déployés sur l’île, le Royaume-Uni a déjà ses bases. Dans ce contexte, nous ne pouvons nous contenter d’être des spectateurs », expliquait Ersin Tatar, le président de la RTCN, quelques mois avant son élection, en octobre 2020.

La tension est montée d’un cran à l’été 2020, quand la Turquie a envoyé des navires de recherche sismique escortés par des bâtiments militaires au large de Chypre, suscitant les condamnations de Nicosie et de l’UE. La menace de sanctions, brandie lors du Conseil européen de décembre 2020, a produit son petit effet. Ankara a alors mis fin à ses prospections, craignant l’impact des sanctions sur son économie chancelante.

Mais, alors que les négociations en vue d’une réunification de l’île sont dans l’impasse et que les perspectives d’une adhésion de la Turquie à l’UE apparaissent désormais comme une vue de l’esprit, le plus vieux conflit gelé d’Europe risque de rester sans solution, contribuant à faire de Chypre une bombe à retardement en Méditerranée.


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Dorothée SCHMID

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Responsable du programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri