10
oct
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Alice EKMAN, interviewée par Michel de Grandi pour Les Échos

Routes de la Soie : « Les autorités françaises font preuve de prudence »

Face à l'ampleur des ambitions de Pékin, les autorités françaises analysent désormais le plan chinois sous un angle géostratégique.

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Les Français voient-ils dans les Routes de la Soie de grandes opportunités d'affaires ou un plan stratégique chinois inquiétant ?

La perception des autorités françaises a évolué à mesure que les Chinois clarifiaient leur plan et leurs intentions. Au début, en 2013 ou 2014,  les promoteurs de « Belt & Road » (B & R) parlaient surtout d'infrastructures à construire, de manière générale. En Europe, les autorités chinoises ont d'abord promu leur projet dans les pays d'Europe centrale et orientale, puis dans ceux du sud. La France est apparue plus tard dans leur dispositif de communication. Cela a laissé du temps aux autorités françaises d'analyser ce plan des Routes de la Soie et finalement de se faire petit à petit leur propre opinion. Aujourd'hui, elles font preuve de prudence. Elles ont, par exemple, refusé de signer un accord-cadre avec Pékin qui aurait officialisé formellement un soutien de la France au projet chinois. Fin août, à la Conférence des Ambassadeurs, le chef de l'Etat a explicitement mentionné le plan chinois le qualifiant de « vision de la mondialisation » à caractère « hégémonique ». L'analyse a évolué, elle devient géostratégique.

 

La France a-t-elle une attitude décalée au sein de l'Union européenne ?

L'Europe ne reste pas inactive même si elle est divisée face au projet chinois. Plusieurs pays comme la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque et la Grèce le soutiennent activement. Ils ont même signé l'accord-cadre si cher aux yeux de Pékin. D'autres comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie, la Pologne et la France se montrent plus réservés. La Commission européenne l'est tout autant. Malgré tout, une réflexion stratégique est mise en place depuis plusieurs années par l'Union européenne. En septembre, Bruxelles a élaboré une feuille de route sur les grands axes de la connectivité entre l'Europe et l'Asie. En quelques mots, Bruxelles estime qu'il faut mettre en perspective les projets de développement des infrastructures proposés par différents pays, ne pas considérer uniquement le projet chinois, et s'assurer que les pratiques européennes soient respectées, notamment les règles d'appels d'offres pour les marchés publics. Cette réserve s'explique aussi par la  dégradation des relations Union européenne - Chine . Bruxelles a l'impression que Pékin essaie de diviser l'entité européenne. De son côté, la Chine n'a pas tout à fait digéré que lui soit refusé le statut d'économie de marché en 2016.

 

Y a-t-il, selon vous, des possibilités de coopération vers les zones francophones ?

Les Chinois appellent les Espagnols à coopérer en Amérique latine, les Portugais à s'associer au Brésil et dans les pays lusophones de l'Afrique. La France est sollicitée de la même manière pour les zones francophones. En même temps, les Chinois proposent aux pays en développement, dans les discours qui leur sont destinés spécifiquement, un système économique et de gouvernance alternatif à celui de ces pays européens, sur le modèle du système chinois. Car B & R, ce ne sont pas que des routes et des trains, ce sont aussi des programmes de formation des fonctionnaires, des tribunaux, des normes et standards, etc. Dans ce contexte, mieux vaut considérer des projets franco-chinois concrets, au cas par cas, qu'envisager une coopération bilatérale en termes généraux autour de « Belt & Road » - concept qui ne cesse de s'élargir et peut prêter à confusion.

 

Michel De Grandi / @MdeGrandi
 
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