29
jan
2024
Espace Média L'Ifri dans les médias
Laure de ROUCY-ROCHEGONDE, citée par Gabriel Thierry dans L'Usine digitale

Comment les start-up d'IA de défense veulent conquérir le champ de bataille

La guerre en Ukraine accélère l’intégration d’outils basés sur l’intelligence artificielle dans les équipements militaires. 

L'Usine digitale

Pour améliorer la précision des tirs de son canon automoteur Caesar, l’industriel Nexter compte désormais sur Helsing. Avec cette annonce récente du ministre des armées Sébastien Lecornu, cette start-up d’origine allemande spécialisée dans l’intelligence artificielle a réalisé un joli coup en damant le pion à des industriels ou des start-up françaises.

Jusqu’ici, Helsing était surtout la championne des levées de fonds, après avoir capté 311 millions d’euros via deux financements. L’entreprise fondée à Berlin, également implantée en France et au Royaume-Uni, a désormais entre les mains un marché prometteur sur l’un des équipements militaires qui incarne le plus le soutien français à l’Ukraine.

Un théâtre d’opérations où les outils basés sur l’intelligence artificielle se sont imposés, remarquait un rapport du Centre de politique européenne. Ce genre de solution sert à faire du renseignement, comme de la reconnaissance géographique ou de l’identification de cible, par exemple repérer des chars ennemis camouflés. Mais ces outils peuvent aussi aider pour de la transcription et de la traduction. "L’Ukraine, c’est la guerre du futur que l’on voit à nos portes", résume Renaud Allioux, le cofondateur de Preligens, une société française spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée aux données géospatiales qui compte environ 250 salariés.

Un rythme d’innovation plus soutenu

Toutes les entreprises spécialisées dans l’IA de défense se ruent en Ukraine, car c’est l’occasion pour elles de tester leurs produits sur le terrain et de récolter énormément de données opérationnelles, une mine d’or,

abonde Laure de Roucy-Rochegonde, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri), un think-tank.

"Le rythme d’innovation imposé par ce théâtre va plus vite que celui anticipé par les industriels", remarque Arnault Ioualalen, un ingénieur en informatique chef de file des industriels de l’armement terrestre dans les cercles internationaux sur la normalisation de l’IA. "Mais faire de l’intelligence artificielle rapidement, ce n’est pas simple, et il ne faut surtout pas croire que c’est un 'game ender', l’outil révolutionnaire qui mettra fin à la guerre", souligne le patron de la start-up d’IA de défense Numalis.

Sur le fond, il n’y a pourtant pas de rupture technologique, plutôt une longue gestation de 

plusieurs années, voire décennies,

compte Laure de Roucy-Rochegonde

Ce qui est nouveau, c’est le sentiment d’urgence,

ajoute-t-elle, les armées françaises ne voulant pas rater le coche. Le ministère des Armées s’était mis en ordre de bataille avec une première feuille de route consacrée au sujet et dévoilée en 2019. Ces efforts se sont matérialisés notamment dans le programme Artemis, une plateforme qui profite pour le moment au renseignement militaire.

Les start-up bousculent les acteurs établis

Cette pression nouvelle permet aux start-up de se faire entendre. Les grands industriels de la défense, comme Thalès ou Airbus par exemple, qui essaient d’intégrer de l’IA dans leurs solutions, voient ainsi des jeunes pousses lorgner sur leurs marchés. Ces dernières donnent même en creux un coup de vieux à Palantir, l’entreprise américaine spécialisée dans l’analyse de la donnée.

Pour muscler son offre, Helsing, qui veut intégrer de l’IA dans les équipements existants, a ainsi recruté Antoine de Braquilanges, passé par Palantir et Amazon Web Services, et Antoine Bordes, ancien co-managing director des laboratoires d'IA de Meta. Dans un positionnement assez proche, Comand.AI veut également créer "ce maillon manquant de notre industrie, cet acteur excellent dans l’IA dédié à la défense", explique Loïc Mougeolle, le dirigeant de la start-up.

Au contraire, chez Preligens, un acteur historique du secteur en France, l’entreprise espère, après s’être fait un nom sur l’imagerie militaire, adresser également des marchés civils au-delà de la défense. "Derrière, il existe une myriade d’acteurs plus petits, qui sont en train de chercher à gagner en maturité sur des niches", analyse Arnault Ioualalen.

Une multitude d'usages

Car les usages de l’intelligence artificielle appliquée à la défense peuvent être très différents, de la maintenance prédictive à l’aide au commandement. Son entreprise s’est ainsi spécialisée sur la validation et l’explicabilité des modèles d'IA. Un travail qui va intéresser la cyberdéfense française, à l’affût de solutions pour protéger les systèmes d'IA utilisées par les armées, que ce soit l’algorithme proprement dit ou les données qui servent à l’entraînement.

Le secteur compte enfin des entreprises spécialisées sur l’apprentissage par renforcement, comme Delfox par exemple, qui planche sur l’autonomie des drones militaires. ThinkDeep AI s’est elle positionnée sur la détection et le positionnement des menaces, tandis qu’Elika Team travaille sur la linguistique.

Une offre foisonnante qui fait face à un acheteur parfois un peu perdu. "Il n’y a pas encore une maturité très forte sur le financement et la compréhension du besoin", regrette Renaud Allioux. "Comme toute nouveauté technologique, il y a toujours une friction au déploiement, abonde Arnault Ioualalen. Ce ne sont pas les entreprises qui répondent aux attentes des armées, c’est plutôt ces dernières qui essaient de comprendre ce que veulent vendre les entreprises."

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Mots-clés
Défense intelligence artificielle France