15
juil
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Dimitri MINIC, interviewé par Mathilde Karsenti pour Marianne

En Ukraine, Poutine fait-il une pause avant que "les choses sérieuses" commencent ?

Près de cinq mois après le début de l’offensive russe en Ukraine et alors que le président Vladimir Poutine estime ne pas avoir « commencé les choses sérieuses », sa stratégie militaire a-t-elle changé ?

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Selon Dimitri Minic, docteur en histoire des relations internationales et chercheur sur la Russie à l’Institut français des relations internationales (Ifri), cette phrase ne sous-entend pas que Vladimir Poutine se sente plus menacé qu’avant. Elle renvoie tout simplement à ce qu’il pense, à ce dont il est profondément convaincu. 

« La conquête du Donbass [dans l'est de l'Ukraine] n’est qu’un objectif intermédiaire pour lui. Ce qu’il souhaite avant toute chose, c’est la destruction de l’État ukrainien dans son ensemble. Le fait qu’il ait tenté, dès le début de la guerre, de prendre la capitale, montre bien que le Donbass est un objectif secondaire » analyse-t-il auprès de Marianne.

Pourtant, il semble y avoir un décalage entre les objectifs du Kremlin et la réalité du terrain. Depuis le 3 juillet dernier, et la prise de la région administrative de Louhansk, dans le Donbass, l’armée russe n’a pas réalisé d’avancée. Si les bombardements et attaques terrestres se poursuivent – touchant parfois des zones civiles, comme ce jeudi 14 juillet à Vinnytsia où 23 personnes ont perdu la vie – « c’est davantage pour désorienter la population et déstabiliser le gouvernement ukrainien que pour préparer de nouvelles percées », estime Dimitri Minic. Et d’ajouter, « l’idée derrière, est de maintenir la pression avec des missiles et de l’artillerie de longue portée notamment ».

 

Des soldats plus vieux 

Jeudi 7 juillet, le ministère russe de la Défense, représenté par le porte-parole Igor Konachenkov, a confirmé que les forces russes faisaient une « pause opérationnelle » pour se reposer, se ravitailler et sans doute actualiser leur stratégie. Car l’armée russe souffre d’une véritable pénurie de soldats. 

« Le nombre d’hommes placés hors de combat (qu’ils soient morts au combat, blessés ou déserteurs) pourrait atteindre près de 40 000 depuis le début de la guerre, ce qui est considérable » détaille Dimitri Minic.

Parmi ces pertes, de nombreux généraux et des soldats parmi les meilleurs et les mieux préparés de l’armée russe.

Mais au lieu de changer de stratégie, Moscou poursuit ses efforts de mobilisation au niveau régional. 

« De peur de provoquer le mécontentement de sa population, Vladimir Poutine opte pour le contournement de la mobilisation générale et de la loi martiale » résumé Dimitri Minic

Après avoir étendu la limite d’âge pour s’engager dans l’armée fin mai en la faisant passer de 40 à 61,5 ans, Vladimir Poutine a annoncé la création de bataillons de volontaires. Chaque région est censée composer au moins un groupe de 400 hommes volontaires pour suivre une formation militaire d’un mois avant de partir dans la zone de combat. « Ils sont en train d’être recrutés et formés. Le but est de créer une force minimale de 35 000 hommes », poursuit le chercheur.

 

Soldats« irremplaçables »

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Comme les soldats sous contrat, la plupart des volontaires qui s’engagent sont issus de minorités ethniques ou religieuses éloignées des centres économiques de la Russie. Et pour cause, des sommes d’argents particulièrement élevées leur sont promises : « Il y aurait 3 400 dollars à la clé pour une signature de contrat. Quant au salaire moyen pour ces bataillons de volontaires, il serait compris entre 3 750 et 6 000 dollars par mois » nous apprend Dimitri Minic. Des rémunérations trois à cinq fois plus élevées que celles des soldats sous contrat, ne remportant que 60 000 roubles par mois, soit environ 1 000 euros…

On s’en doute, l’objectif de Vladimir Poutine est de convaincre le plus d’hommes possibles d'aller combattre en Ukraine, pour tenter de compenser ses pertes. Les populations précaires sont bien sûr les plus enclines à accepter cette mission. Ce qui, d’un point de vue tactique, n’est pas très pertinent, selon le chercheur à l’Ifri. « Car les pertes du début de la guerre – des soldats particulièrement expérimentés –, sont irremplaçables dans l’immédiat. Il faudra plusieurs années pour les remplacer ». La question se pose donc de savoir si cette reconstruction des capacités militaires sera utile. 

« La plupart de ces hommes ne sont pas prêts au combat qui les attend. Ils n'ont pas de formation militaire avancée, du vieux matériel est mis à leur disposition, comme des chars de combat des années 1960. Il est difficile d’imaginer qu’ils iront loin avec ça ».

Enfin, ce temps mort de l’armée russe est aussi l’occasion pour Vladimir Poutine de mobiliser l’économie nationale. Il est notamment question de « mesures spéciales de mobilisation économique » pour que les entreprises puissent potentiellement soutenir l’effort de guerre. Il s’agit d’augmenter le temps de travail et d’imposer la fourniture de biens et de services si l’État passe commande. 

« Ces mesures ne sont pas destinées à remplacer tout le matériel perdu mais elles permettront, probablement, de réparer le matériel endommagé, d’entretenir les stocks existants et de ravitailler partiellement l’armée en munitions » conclut Dimitri Minic.

Reste à savoir si ces nouvelles solutions permettront à Vladimir Poutine d’atteindre ses objectifs…

 

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