04
nov
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Xavier Ricard Lanata
Thomas GOMART, chronique parue dans la revue Études

Xavier Ricard Lanata 1973-2021

« Nous sommes dimanche et, sur le parvis de l’église de Cibitoke [Burundi], il y a foule. La nef est bondée et je me tiens debout sur les marches : à l’intérieur retentissent des chœurs somptueux, d’une polyphonie complexe et ondoyante comme une brise. Ces chants ont la puissance calme et apaisante des averses : on voudrait se mettre dessous et recevoir, des heures durant, la pluie qui tombe dru et qui lave jusqu’au tréfonds. Je me tiens tout droit sous l’orage de la cantate.

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Tout me semble justifié et j’ai peine à croire qu’il puisse y avoir sur cette Terre autre chose que cet entrelacs de voix qui s’achève par une clameur victorieuse, à l’unisson », écrit Xavier Ricard Lanata dans Blanche est la Terre1.

Il a utilisé tous ses talents pour louer le monde et l’améliorer. Chrétien, ethnologue, philosophe, poète, haut fonctionnaire, universitaire, musicien, conteur, comédien, bricoleur, cultivateur, cuisinier, marcheur, polyglotte, amoureux, mais surtout fils, père, frère et ami. Sa famille est devenue un cœur battant vers ses amis du monde. Par une activité incessante, il a noué de multiples liens entre l’Europe, l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie du Sud-Est, qui témoignent de son extraordinaire sens de l’amitié. Sa vitalité et son enthousiasme étaient contagieux.

Il a aussi beaucoup œuvré en silence. À très haute altitude, sur les hauts plateaux du Pérou, terrain de sa thèse consacrée au chamanisme andin, il a fait l’expérience du froid, de la faim et de la solitude en passant plusieurs mois à regarder paître des troupeaux. L’apprentissage du quechua lui permit progressivement de se faire accepter des bergers, de recueillir leurs témoignages et de comprendre leurs mythes. Expérience fondatrice. Directeur adjoint du centre d’études régionales andines « Bartolomé de Las Casas » à Cuzco, entre 2002 et 2007, Xavier nourrit de nombreux projets de recherche en s’attachant au dialogue interculturel. De retour en France, il devint directeur des partenariats internationaux du CCFD – Terre Solidaire et mit son énergie dans des projets locaux de développement. Il me confiait alors n’être jamais aussi heureux qu’aux côtés des paysans à travailler dans un champ. Il y avait, chez Xavier, une volonté politique de changer le monde, qui le conduisit à réussir le concours de l’ENA pour en sortir au Trésor… Choc personnel qui accentua son orientation vers l’écologie radicale.

Parallèlement, Xavier a poursuivi son cheminement intellectuel avec des articles, des conférences et des enseignements sur un rythme très soutenu. Membre fondateur de la revue Terrestres2, habilité à diriger des recherches, il a publié quatre livres superbement écrits, qui reflètent une rare capacité de description des conséquences locales de la globalisation. Ses ouvrages sont précieux en ce qu’ils témoignent d’une sensibilité poétique au monde et d’une compréhension économique de ses mécanismes sous-jacents. Ils sont les jalons d’une réflexion, entre nature et culture, sur la beauté du monde et sa fragilité. Réflexion ambitieuse qui fut aussi une quête personnelle. En 2011, il publia sa thèse de doctorat Les voleurs d’ombre, qui décrit l’univers religieux des bergers de l’Ausangate3. Six ans plus tard, il commença ainsi Blanche est la Terre : « Ce livre est le récit d’un chemin de conversion. » Avant d’ajouter : « J’écris ce livre comme on apporte, au col, sa pierre pour l’y déposer sur un cairn. Un récit d’éveils et d’émerveillements, mais aussi de fatigues. » Vinrent ensuite deux essais incisifs. Dans La tropicalisation du monde4, Xavier inversa la perspective habituelle : les économies des pays occidentaux sont en voie de « tropicalisation », c’est-à-dire de colonisation par l’insatiable appétit des marchés dont les acteurs principaux sont déterritorialisés. Dans Demain la planète5, il élabora quatre scénarios de déglobalisation en dénonçant l’impasse capitaliste et en cherchant une issue viable. Xavier a traversé la maladie en écrivant deux autres livres que ses amis attendent. Son parcours et son œuvre les accompagnent désormais dans leur éducation à l’écologie, comme composante essentielle de toute réflexion politique. Qu’il en soit remercié avec une profonde gratitude.

 

NOTES :
1 Seuil, 2017.

2 www.terrestres.org

3 Les voleurs d’ombre. L’univers religieux des bergers de l’Ausangate (Andes centrales), Société d’ethnologie, 2011.

4 La tropicalisation du monde. Topologie d’un retournement planétaire, PUF, 2019.

5 Demain la planète. Quatre scénarios de déglobalisation, PUF, 2021.

 

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