Pourquoi Taïwan se prépare au risque d'une invasion "imminente" par la Chine
Le président de l'île veut que l'armée se prépare à un potentiel conflit armé avec Pékin "d'ici 2027". Un objectif qui s'accompagne d'une nouvelle hausse du budget de la défense.
Pour avoir la paix, il faut se préparer à la guerre. Cet adage romain semble résumer la stratégie de Taïwan face aux menaces d'une invasion chinoise. Taipei a rapporté, vendredi 5 décembre, que Pékin avait déployé des navires sur des centaines de kilomètres, dans le cadre d'"opérations militaires" constituant une "menace" pour la région. Une semaine plus tôt, le dirigeant de l'île, Lai Ching-te, avait proposé une hausse de 34,5 milliards d'euros du budget de la défensesur plusieurs années. "L'objectif est d'atteindre un haut niveau de préparation des forces de combat interarmées pour dissuader efficacement les menaces de la Chine d'ici 2027", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.
L'annonce reflète les inquiétudes croissantes sur le risque d'une attaque de Pékin contre Taïwan. Fin mai, le secrétaire d'Etat américain, Pete Hegseth, a ainsi averti sur une menace potentiellement "imminente", rapporte la BBC(Nouvelle fenêtre). La Chine "prépare l'armée nécessaire pour le faire et s'y entraîne, tous les jours", a assuré le ministre, évoquant l'échéance de 2027.
La date ne sort pas de nulle part. Selon la CIA, le président "Xi Jinping aurait demandé à ses généraux d'être prêts d'ici 2027 pour une invasion", explique Alexandre Gandil, chercheur à l'université Bordeaux Montaigne et auteur de Kinmen, un archipel entre Taïwan et la Chine. "Cette date correspond aussi à deux faits marquants : le centenaire de l'armée populaire de libération (APL) et le 21e Congrès du Parti communiste chinois, où il est probable que Xi Jinping briguera un quatrième mandat consécutif."
"Réunifier" la Chine, pacifiquement ou par la force
Fin novembre, le chef d'Etat chinois a redit, lors d'un appel avec Donald Trump, que la réunification avec Taïwan était un enjeu international majeur, selon un média d'Etat.
L'île est "considérée par Pékin comme une part inaliénable de son territoire depuis 1949", et la victoire des communistes qui a mis fin à 25 ans de guerre civile, rappelle Marc Julienne, directeur du Centre Asie à l'Ifri.
À cette époque, les nationalistes défaits se sont réfugiés à Taïwan, avec 2 millions d'habitants venus du continent.
"Depuis, l'objectif [de Pékin] est d'achever l'unification de la Chine. Après la prise de contrôle du Tibet et la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni, Taïwan est la dernière pièce manquante.", Marc Julienne, chercheur à l'Ifri
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"Depuis, l'objectif [de Pékin] est d'achever l'unification de la Chine. Après la prise de contrôle du Tibet et la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni, Taïwan est la dernière pièce manquante."
Ces dernières années, la Chine – qui ne reconnaît pas le régime de Taipei – n'a cessé d'accroître la pression militaire sur l'île de 23 millions d'habitants, située à quelque 200 km de ses côtes.
Les exercices navals et aériens autour du territoire se sont multipliés, passant "d'un avion par semaine" à "des patrouilles quasi quotidiennes, avec jusqu'à une cinquantaine d'avions repérés en 24 heures", illustre Marc Julienne.
En novembre, Reuters révélait aussi que l'APL avait mené des exercices de débarquement impliquant des bateaux civils, "peu chers, nombreux et déjà largement utilisés dans la marine marchande en Chine".
Autant de manœuvres qui permettent au régime de Xi de montrer que ses forces sont "capables d'encercler Taïwan ou de créer une zone d'exclusion aérienne", souligne Marc Julienne. S'agit-il de préparatifs en vue d'une offensive, ou d'une intimidation pour dissuader Taipei de déclarer l'indépendance ?
"Les deux ne sont pas mutuellement exclusifs", répond le chercheur. "La Chine veut casser toute volonté taïwanaise de lui résister, affaiblir le soutien des Etats-Unis et du Japon à Taipei, en montrant qu'elle a la capacité de vaincre, insiste-t-il. Mais tous ces exercices permettent aussi de former et d'entraîner la marine et l'aviation à toutes les situations possibles, de monter en compétences."
Officiellement, la doctrine de Pékin reste d'unifier la Chine de manière pacifique. "C'est la solution la moins chère, la moins meurtrière et la moins risquée", note Marc Julienne.
D'abord, parce qu'une conquête par la force impliquerait "de pacifier le territoire, et l'APL n'a pas encore les techniques" nécessaires pour faire face à "la résistance ou l'insurrection" de la population, estime le chercheur Alexandre Gandil. Ensuite, parce qu'une invasion militaire exposerait la Chine à un conflit avec les Etats-Unis, partenaire majeur de Taipei.
Certains redoutent de voir Donald Trump rechigner à soutenir Taïwan, après l'avoir vu tergiverser sur l'aide américaine à l'Ukraine. Mais une invasion chinoise aurait également des conséquences sur l'économie mondiale, dépendante de l'industrie des semi-conducteurs de l'île.
"Taïwan est aussi un verrou qui confine la Chine dans un espace maritime restreint. (...) Si Pékin en prenait le contrôle, les Américains ne pourraient plus aller et venir comme ils le souhaitent, y compris vers leurs bases en Corée du Sud et au Japon", pointe Marc Julienne.
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"Il est difficile de déterminer l'esprit de résistance et la détermination de la population en cas d'invasion. Mais l'exemple de l'Ukraine, où la forte mobilisation des habitants a permis d'empêcher l'armée russe d'arriver jusqu'à Kiev, a beaucoup inspiré les Taïwanais."
A ce jour, Taipei comme Pékin se préparent donc à la possibilité d'une escalade militaire. Et leurs voisins aussi. Début novembre, la nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, a déclaré qu'une attaque contre Taïwan pourrait justifier l'envoi de troupes pour défendre l'île, provoquant une crise diplomatique d'ampleur avec la Chine. "Nous devons envisager le pire", a jugé la dirigeante conservatrice.
> Lire l'article dans son intégralité sur le site de Franceinfo.
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