Bataille d'influence┃Comment Trump entend ravir à la Chine le contrôle de TikTok
Engagé depuis janvier dans des négociations tendues avec Pékin pour racheter les activités américaines du réseau social, le président américain clame avoir réussi son coup. Mais la partie n’est peut-être pas totalement gagnée.

« Tout sera géré par des Américains. » Depuis le Bureau ovale de la Maison Blanche, le président américain, Donald Trump, fanfaronne. Il annonce fièrement, jeudi, qu’il vient de signer un décret définissant les contours de la cession des activités aux Etats-Unis de TikTok à un consortium de sociétés américaines. ByteDance, la maison mère chinoise du réseau social de vidéos verticales, très prisé des jeunes, se voit expulsée de sa filiale dont elle ne conservera qu’une participation minoritaire (tout au plus 20 % du capital). Le point final d’un bras de fer entre Washington et Pékin qui dure en réalité depuis 2019 ? Pas si sûr, mais c’est néanmoins une étape majeure.
En piste pour racheter la branche américaine de TikTok, un quarteron d’investisseurs « très sophistiqués » d’après Donald Trump. Et surtout très riches et de fidèles soutiens : Michael Dell, le fondateur du groupe d’ordinateurs Dell, le magnat des médias Rupert Murdoch (propriétaire de la chaîne Fox News), ainsi que Larry Ellison, le fondateur du géant technologique Oracle et ami du président. Selon plusieurs médias, les fonds d’investissement Silver Lake Partners et Andreessen Horowitz seraient également de la partie. La société finale serait valorisée environ 14 milliards de dollars (près de 12 milliards d’euros), selon les calculs du vice-président, J.D. Vance, capital-risqueur de métier. Cerise sur le gâteau : l’Etat américain empochera au passage une méga commission, dont le montant reste inconnu.
Décrets exécutifs suspendus
« Les Etats-Unis ont deux préoccupations majeures : éviter que les données personnelles et sensibles des citoyens américains soient transférées vers la Chine et empêcher la manipulation de l’algorithme pour mettre en avant ou censurer des contenus », explique Mathilde Velliet, chercheuse à l’Institut français des relations internationales. Ces deux inquiétudes ne datent pas d’hier. Très rapidement après l’arrivée de TikTok auprès des Américains en 2018, les agences de sécurité ont alerté sur les risques d’espionnage et d’influence de la part de Pékin. Qui est celui qu’elles avertissent à l’époque ? Donald Trump, première saison. A coups de décrets exécutifs, en 2019-2020, le Président cherche alors à interdire TikTok sur le sol américain. En vain, la justice suspend ces textes rédigés à la hâte.
C’est finalement l’administration Biden qui, en 2024, fera voter une loi à double détente : soit TikTok cède ses affaires à des boîtes américaines soit il sera banni des EtatsUnis. De retour à la Maison Blanche en janvier 2025, Trump décide de temporiser. « Il considère que l’application l’a aidé à se faire élire face à Kamala Harris, contrairement à Facebook, qu’il a qualifié “d’ennemi du peuple”, d’où sans doute sa frilosité à l’idée de l’interdire », décrypte Mathilde Velliet. Tout comme une grande partie des jeunes Américains, sa base d’électeurs Maga (Make America Great Again) est très active sur la plateforme chinoise. Pour s’adresser à elle, la Maison Blanche y a d’ailleurs ouvert un compte en août avec déjà plus de 130 vidéos à la gloire de son locataire. Depuis son investiture, Trump a donc repoussé à cinq reprises le couperet légal du bannissement de TikTok et s’est engagé, en s’appuyant sur son vice-président, J.D. Vance, dans des pourparlers serrés avec le président chinois, Xi Jinping.
« Les données peuvent être dupliquées »
Du côté américain, on considère les négociations comme terminées et on met en avant le fait que dorénavant les données seront stockées par Oracle aux Etats-Unis. Est-ce une garantie absolue de souveraineté ? Mathilde Velliet en doute : « L’enjeu de la gouvernance des données demeure. Est-ce que leur localisation géographique suffit vraiment à les préserver d’un accès de la part d’autorités étrangères alors que les données peuvent être dupliquées, stockées en plusieurs parties, transférées ? » Une chose est sûre, Trump confie le précieux réseau social entre des mains amies. Oracle récupère le joyau de la couronne : le puissant algorithme, capable de rendre captif l’utilisateur et d’entretenir son engagement. Comme l’assure J.D. Vance, TikTok ne pourra plus servir d’« outil de propagande » auprès des 170 millions d’utilisateurs américains. Sans citer directement Pékin, c’est bien de l’ingérence chinoise dont Washington voulait se débarrasser.
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Faire monter les enchères
Dans ce feuilleton géopolitique, il serait surprenant que la Chine accepte de se faire tordre le bras sans contrepartie. « Xi Jinping a peutêtre fait un geste sur TikTok, mais il a sans doute adopté une position plus ferme sur d’autres points », souligne Mathilde Velliet. Ce qui laisse augurer que le bras de fer entre les deux superpuissances n’est peutêtre pas terminé. La date butoir pour un accord venant d’être reportée au 23 janvier, il reste quatre mois à ByteDance pour céder TikTok aux alliés de Trump. Et à Xi Jinping pour faire monter les enchères. •
« Donald Trump considère que l’application l’a aidé à se faire élire face à Kamala Harris, contrairement à Facebook. » Mathilde Velliet chercheuse à l’Ifri.
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