France-Israël, une relation en tensions
L’état aujourd’hui exécrable des relations diplomatiques entre la France et Israël s’inscrit dans une histoire longue, où la bienveillance et la sympathie n’ont pas empêché la survenue de crises à répétition entre les deux pays.
Dès la déclaration Balfour, la France accueillait positivement l’installation d’un foyer juif en Palestine, puis votait en faveur de la création de l’État d’Israël et le reconnaissait le 24 janvier 1949. Par la suite, les gouvernements successifs ont affirmé leur sympathie à l’égard du nouvel État et se sont engagés à assurer sa sécurité. Tel était déjà le cas de la IVe République, qui contribua à faire d’Israël une puissance nucléaire et établit une alliance militaire qui conduisit au fiasco de l’expédition de Suez en 1956. La Ve République, à son tour, s’est portée garante de la sécurité d’Israël : dès 1940, le général de Gaulle, rencontrant le représentant de l’Agence juive, exprimait « sa sympathie et son admiration pour le projet sioniste ». Depuis lors, tous les présidents qui se sont succédé ont manifesté leur attention privilégiée à l’égard d’Israël. Mais, malgré cette approche, la relation entre les deux pays a été le plus souvent tendue. Aujourd’hui, elle est exécrable, placée sous le signe d’un affrontement brutal.
Une évidente sympathie
Cette sympathie française à l’égard d’Israël est liée bien évidemment au souvenir de la Shoah et au sentiment de culpabilité engendré par l’antisémitisme militant de la France de Vichy, complice de la « solution finale », précédant souvent les désirs de l’occupant nazi. Elle s’exprime envers l’importante communauté juive qui vit en France, la plus grande d’Europe, et dont les liens avec Israël sont d’autant plus étroits que la population d’origine française ou francophone est nombreuse et influente. Ainsi, toute action en direction de la communauté juive de France peut affecter nos relations avec Israël, et réciproquement.
Rencontrant Ben Gourion en juin 1960, le général de Gaulle lui assure le soutien de la France, tout en avertissant qu’elle n’est pas disposée à « fournir les moyens de conquérir de nouveaux territoires ». Elle accepte de poursuivre une coopération dans le domaine du nucléaire, mais uniquement à des fins pacifiques. La coopération dans le domaine de l’armement se poursuit cependant, en particulier avec la commande en 1960 de soixante-dix-neuf Mirages III et de missiles balistiques fournis par l’entreprise Dassault. Par la suite, aussi bien le président Giscard d’Estaing que ses successeurs tisseront des liens plus ou moins étroits avec la communauté juive et les responsables politiques d’Israël, jusqu’à Emmanuel Macron, que le président du Crif, Yonathan Arfi, a qualifié de « chef d’État le plus pro-israélien de ces dernières décennies ».
De fait, par-delà les déclarations verbales, les présidents s’engageront à assurer la sécurité d’Israël et de la communauté juive de France. La lutte contre l’antisémitisme a donné lieu à plusieurs textes législatifs, comme la loi du 13 juillet 1990 relative aux actes racistes, antisémites et xénophobes, ou encore celle du 31 juillet 2025, visant l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur.
La coopération avec le Mossad est encore renforcée sous le mandat de Nicolas Sarkozy, au cours duquel on envisage même des opérations communes. Bien plus, la France ne réagit pas aux assassinats ciblés d’activistes palestiniens sur son territoire, même lorsqu’il s’agit, en juin 1992, d’Atef Bseiso, chef de la sécurité de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), invité à Paris par les services français.
S’agissant du rôle de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, le président Chirac, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, reconnaît la responsabilité de la France qui « a commis l’irréparable » dans la déportation des Juifs. Cette déclaration, que ses prédécesseurs s’étaient gardés de faire, a été saluée positivement par Israël. Le président Chirac crée par ailleurs la commission Mattéoli pour enquêter sur les spoliations nazies dont ont été victimes les Juifs pendant l’Occupation. Ses travaux donnent lieu à la loi du 22 juillet 2023 sur « la restitution des biens spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1943 et 1945 ». Cette responsabilité de la France est réaffirmée, en juillet 2017, par le président Macron, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, qui ajoute que l’antisionisme « est une forme réinventée de l’antisémitisme ». La présence de Benyamin Netanyahou à l’événement et cette extension du champ de l’antisémitisme susciteront une polémique en France, soulevant une interrogation : peut-on critiquer l’État d’Israël ?
La sympathie à l’égard d’Israël se manifeste ostensiblement à l’occasion des voyages officiels des présidents français. François Mitterrand est le premier président à s’y rendre, suivi de tous ses successeurs, certains à plusieurs reprises. Les relations économiques restent modestes, avec des échanges commerciaux de l’ordre de trois milliards d’euros. Mais la France a apporté son fort appui à la conclusion de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne, et entretient une coopération active dans les domaines sensibles : si les exportations vers Israël restent modestes, la coopération de haute technologie à travers Thales et Dassault, notamment en matière de cybersécurité et de drones, est significative. Pourtant, les relations entre les deux pays sont ponctuées de crises et se dégraderont fortement pour aboutir à la situation actuelle.
Des crises à répétition
C’est la politique menée par la France au Moyen-Orient, notamment sur la question palestinienne, qui affectera progressivement et fortement les relations bilatérales au fur et à mesure qu’elle s’orientera vers la création d’un État palestinien.
Dès 1967, une première crise s’ouvre à l’occasion de la guerre des Six-Jours. Alors que de Gaulle a mis en garde Israël contre toute initiative guerrière contre l’Égypte, le début du conflit provoque une réaction particulièrement dure du Général, qui condamne dès le 15 juin l’agression israélienne et, à l’occasion d’une conférence de presse en novembre, critique « ce peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». La relation devait s’aggraver encore avec l’affaire des vedettes de Cherbourg, ayant rallié Israël malgré l’embargo décrété sur les armes. Après la coopération dans le domaine nucléaire, arrêtée dès 1961, la coopération militaire est en principe suspendue, mais reprend discrètement et de façon significative.
Cependant, par-delà cette rupture initiale, la France joue un rôle très actif dans la négociation de la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité le 22 novembre 1967 à l’issue de la guerre des Six-Jours : Israël a droit à l’existence « dans des frontières sûres et reconnues », mais doit évacuer tous les territoires occupés. Il convient enfin de répondre aux droits légitimes des Palestiniens. Ces principes guident avec une grande continuité la politique des différents présidents depuis maintenant près de soixante ans.
S’y ajoute une politique très active menée dans le monde arabe, amorcée dès la fin de la guerre d’Algérie. En 1969, le contrat de quatre-vingt-deux Mirages passé avec la Libye de Kadhafi provoque une forte réaction d’Israël. Le dialogue euro-arabe, soutenu par la tournée du ministre des Affaires étrangères, Michel Jobert, au début de l’année 1974, de même qu’une nouvelle vente de Mirages à la Libye en 1973, font réagir Israël. Le ministre laisse entendre qu’il pourrait rencontrer Yasser Arafat, considéré par Israël comme terroriste.
Ce sera chose faite avec l’arrivée au pouvoir du président Giscard d’Estaing. La rencontre entre son nouveau ministre, Jean Sauvagnargues, et Yasser Arafat a lieu en octobre 1974. La création d’un bureau de l’OLP est prévue à Paris. En janvier 1976, la France vote en faveur d’un projet de résolution du Conseil de sécurité, proposé par l’Union soviétique, appelant à la création d’un État palestinien, immédiatement bloqué par un véto américain. La coopération militaire et nucléaire de la France avec Saddam Hussein et la construction d’un réacteur nucléaire de recherche en Irak en 1975 inquiètent fortement Israël, qui détruira l’installation en 1981. Par ailleurs, la France exprime ses réserves à l’égard de l’accord de Camp David de 1978, qualifié de « paix séparée », qui laisse de côté la question palestinienne. À l’initiative de la France, l’Europe souligne, par la déclaration de Venise en juin 1980, que « le peuple palestinien doit être en mesure d’exercer pleinement le droit à l’autodétermination », ce qui suscite une vive réaction d’Israël qui nie l’existence même d’un peuple palestinien.
François Mitterrand poursuit cette politique, notamment en appelant explicitement devant la Knesset en mars 1982 à la création d’un État palestinien, puis en recevant à Paris Yasser Arafat en 1989. De même, Jacques Chirac apporte son appui à Yasser Arafat, avec lequel il noue de fortes relations personnelles, dans les négociations sur le processus de paix, et contribue à la nomination par l’Union européenne d’un représentant spécial, en la personne de l’actif Miguel Moratinos, futur ministre des Affaires étrangères espagnol.
-> Article à consulter en ligne sur le site Esprit
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