Guerre en Ukraine : « Pour la Russie, l’Europe est devenue la principale menace »
INTERVIEW. En pleine crise ukrainienne, Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/Eurasie de l’Ifri (Institut français des relations internationales), analyse les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Comment Vladimir Poutine voit-il l’Union européenne ?
« Sa perception a évolué avec le temps. Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir (en 1999), l’Union européenne est encore le modèle à suivre : c’est une puissance pacifique, un grand marché solvable. Les oligarques investissent dans les pays de l’Union, vont y faire leur shopping et mettent leurs enfants dans les universités européennes. Mais l’Union commence aussi à apparaître comme un rival du projet russe d’intégration eurasiatique, notamment en Ukraine. Le problème n’est pas alors l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, mais à l’UE, qui concurrence la Russie dans son espace proche, avec des valeurs différentes. »
C’est donc aussi une opposition idéologique ?
« Oui, et en même temps, les Russes voient l’Europe comme un espace faible, divisé, traversé de crises (les migrants, le Brexit) et dépendant des États-Unis. Monte alors le discours sur l’Europe vassale des États-Unis… »
Une forme de mépris de l’Europe ?
« À la fois l’admiration de sa puissance économique, et le mépris de sa faiblesse géopolitique. Avec une irritation d’autant plus forte devant sa prétention à jouer un rôle géopolitique en bras de ''l’Occident collectif'', contre les intérêts russes. Au fond, les Russes ne comprennent pas l’Union européenne, comment elle fonctionne, qui la dirige, etc. Ils ont toujours préféré travailler avec chaque pays en bilatéral. »
Vladimir Poutine respecte davantage les grands pays comme l’Allemagne ou la France ?
« Ils les prennent mieux en compte, avec leurs intérêts nationaux. Les Russes estiment que la France et l’Allemagne auraient intérêt à coopérer directement avec la Russie, au lieu de dépendre de l’Union européenne.
« Il y a maintenant la volonté d’affaiblir non seulement Bruxelles, la cohésion de l’Union, mais aussi les pays membres »
La Russie a-t-elle une politique d’affaiblissement de l’Union européenne ?
« Un palier a été franchi, pour nous amener à la situation inverse des années 2000, quand l’Otan était l’élément hostile, et l’Europe une puissance vassalisée, mais avec laquelle on pouvait travailler. Aujourd’hui, les Russes pensent qu’ils peuvent s’entendre avec les États-Unis, mais pas avec l’Union européenne, beaucoup plus va-t-en-guerre sous l’influence des pays baltes et de la Pologne, devenue ainsi la principale menace. Il y a donc maintenant la volonté d’affaiblir non seulement Bruxelles, la cohésion de l’Union, mais aussi les pays membres. D’où les ingérences, les interventions dans les élections en Roumanie, le soutien aux forces prorusses… »
Lire l'article sur Le Bien Public.
Média

Journaliste(s):
Nom de l'émission
Format
Partager