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Les États-Unis de Donald Trump haïssent l’Europe libérale

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La nouvelle « Stratégie de sécurité nationale » américaine de l’administration Trump rompt avec l’ordre international libéral établi en 1945 sous l’hégémonie stabilisatrice des États-Unis. Elle marque, selon la chercheuse Laurence Nardon, responsable du Programme Amériques de l'Ifri, la volonté d’établir dans le monde un système de sphères d’influence, où chacun défend avant tout ses intérêts.

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Le président Trump et les dirigeants européens se rencontrent à Washington, district de Columbia, États-Unis – 18 août 2025.
Le président Trump et les dirigeants européens se rencontrent à Washington, district de Columbia, États-Unis – 18 août 2025.
Aaron Schwartz/UPI/Shutterstock
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Chaque nouvelle présidence américaine établit ses priorités de sécurité nationale au travers d’un ensemble de textes stratégiques publiés en début de mandat. Signée par le président, la « Stratégie de sécurité nationale » (« National Security Strategy », NSS) est la plus élevée de ces « pièces de doctrine ». Elle est complétée par la « Stratégie de défense nationale », signée par le secrétaire à la défense ; la « Nuclear Defense Review » et la « Missile Defense Review », des documents assez sensibles dont ne sont rendues publiques que des versions déclassifiées ; et enfin la « Stratégie nationale militaire » rédigée par les chefs d’état-major. 

De retour à la Maison-Blanche pour un second mandat, Donald Trump ne déroge pas à la règle: sa « National Security Strategy » a été rendue publique le 4 décembre. Ce texte de 33 pages tranche sur les précédentes NSS – celle de son prédécesseur Joe Biden, bien sûr, mais aussi, sur certains points, celle de son premier mandat, publiée en 2017. 

Là où Joe Biden essayait de renouer avec l’ordre international libéral établi en 1945, Donald Trump confirme sa volonté de rupture avec ce système. Avec lui, les États-Unis ne sont pas porteurs d’un projet moral pour le monde. À aucun moment le texte de la NSS ne dit vouloir défendre la démocratie, les droits de l’homme et le pluralisme. Si les monarchies du Golfe, par exemple, sont des autocraties où les femmes et les homosexuels sont opprimés, qu’à cela ne tienne, la conclusion de deals juteux n’en est pas moins souhaitable. Les relations internationales seront donc fondées sur la loi du plus fort, entre des acteurs qui ne sont plus des alliances mais uniquement les nations. Il n’existe entre ces dernières ni intérêt commun, ni respect du droit international. Le monde est appelé à se redessiner comme un système multipolaire fait de sphères d’influence.

Le problème de cette vision hobbesienne, proposée par Donald Trump depuis son premier mandat, c’est qu’elle garantit un monde très instable et donc très dangereux – là où la diplomatie américaine traditionnelle cherchait à exercer (avec certes bien des fautes) une hégémonie stabilisatrice dans le monde.

Pour s’adapter à ce monde nouveau, la NSS de Trump 2 appelle le gouvernement fédéral et le secteur privé à renforcer les capacités du pays et à le protéger. Il faut notamment fermer les frontières à une immigration forcément nocive, et relocaliser l’industrie dans l’intérêt des classes moyennes. 

Ce dernier point est à vrai dire dans l’air du temps depuis un moment : Donald Trump avait fait campagne sur cette idée en 2016 et Joe Biden avait poursuivi cet objectif avec les investissements fédéraux massifs des Bidenomics. Trump 2 y ajoute un point central : le mercantilisme. Le texte appelle à libérer le potentiel économique des États-Unis, actionnant une domination énergétique, tech, industrielle et en termes de talents individuels, afin de maximiser le business et les profits. 

Cette vision anxieuse du monde se décline en politiques régionales dans la seconde partie du document. La grande nouveauté de la NSS 2025 est que les Amériques – dites « hémisphère occidental » – y figurent en premier. L’Amérique latine doit devenir la principale sphère d’influence des États-Unis. La NSS se montre prédatrice: les États-Unis doivent non seulement tarir les flux de drogue et de migrants, mais aussi obtenir des accès aux atouts et aux ressources de ces pays.

Parmi les autres régions évoquées par la NSS, la Russie n’est pas citée comme une menace, mais comme une puissance avec laquelle il est urgent de rétablir une stabilité stratégique. Les États-Unis s’y emploient en essayant de conclure une paix entre la Russie et l’Ukraine. Quant à la Chine, elle est une rivale commerciale avec laquelle il faut négocier le meilleur deal possible. La menace militaire et géopolitique représentée par Pékin n’est que peu mentionnée. Ceci est cohérent avec les diverses ouvertures faites par Washington vis-à-vis de la Chine ces derniers mois – tel que le deal qui autorise l’entreprise américaine Nvidia à exporter de nouveau des puces de haut niveau vers la Chine. Les stratèges antichinois, très nombreux à Washington, sont consternés. Ils rappellent que la première NSS de Donald Trump, en 2017, listait encore la Chine et la Russie comme des rivales stratégiques des États-Unis. 

Le ton conciliateur vis-à-vis des dictatures russe et chinoise s’efface lorsqu’il est question d’Europe. Nos gouvernements sont accusés d’organiser un « effacement civilisationnel » du continent, au travers d’une immigration de masse (reprenant la théorie d’un « grand remplacement » organisé par les élites), de réglementations étouffantes imposées par l’Union européenne et du politiquement correct. Le ton très hostile de la NSS sur l’Europe rappelle celui du discours du vice-président JD Vance à Munich, en février dernier. Mais il ne faut pas conclure pour autant à une rupture du lien transatlantique. Le texte montre au contraire que l’administration Trump 2 souhaite rester très impliquée et conserver une alliance forte avec notre continent. Seulement, cette alliance se déplace idéologiquement : les États-Unis de Donald Trump haïssent l’Europe libérale, mais sont prêts à aider les partis nationalistes européens.

Les critiques de l’Europe libérale sont tellement vives que le porte parole du Kremlin a déclaré que la NSS était tout à fait alignée avec les politiques de Moscou. Ce texte pose donc une question pour l’instant sans réponse : comment cette attitude américaine vis-à-vis de l’Europe et de la Russie va-t-elle se traduire concrètement ?

>  Lire la suite de cette tribune parue le 15 décembre sur le site de La Croix.

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Laurence Nardon

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Laurence NARDON

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Responsable du Programme Amériques de l'Ifri

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Le président Trump et les dirigeants européens se rencontrent à Washington, district de Columbia, États-Unis – 18 août 2025.
Aaron Schwartz/UPI/Shutterstock