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« On a perdu toute traçabilité sur le programme nucléaire iranien »

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interviewée par Armin Arefi dans

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ENTRETIEN. La chercheuse Héloïse Fayet estime que les frappes israéliennes et américaines ont ralenti les activités atomiques de l’Iran mais que celles-ci échappent désormais au contrôle international.

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Héloïse FAYET
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Responsable du programme dissuasion et prolifération au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Héloïse Fayet est une des meilleures spécialistes en France du nucléaire iranien. Dans un entretien au Point, la chercheuse livre ses premières analyses sur les conséquences des frappes israéliennes et américaines sur les activités atomiques de la République islamique d'Iran.

 

Le Point : Que pensez-vous de la première analyse du renseignement militaire américain selon laquelle le programme nucléaire iranien n'aurait pas été anéanti, comme le prétend Donald Trump ?

Héloïse Fayet : Ce rapport doit être analysé avec beaucoup de prudence. Il repose sur une évaluation des dégâts des frappes effectuée par le commandement des forces américaines au Moyen-Orient, probablement acquise grâce à des images satellites ou de drones, car l'accès physique aux installations ne semble pas possible actuellement. Or ces clichés ne permettent évidemment pas d'observer l'intérieur des sites. Ce recoupement a pu être effectué par la Defense Intelligence Agency, un service de renseignement militaire dont la lutte contre la prolifération nucléaire n'est pas la mission première. La DIA ne possède pas l'expertise de la CIA en la matière. Sa vision des dégâts est orientée par des critères militaires. Par exemple, son appréciation des dégâts sur les centrifugeuses va à l'encontre de l'avis du directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi.

Quelle est votre propre appréciation de l'efficacité des frappes américaines sur les sites nucléaires iraniens ?

Je pense déjà qu'il faut considérer en fait les frappes dans leur globalité : tout d'abord, les frappes israéliennes sur le site d'enrichissement de Natanz, qui avaient déjà fait pas mal de dégâts, auxquelles il faut ajouter les frappes américaines sur l'usine de Fordo et enfin les frappes israéliennes supplémentaires réalisées lundi sur ce même site.

Citations Auteurs

Pour l'heure, personne n'a vraiment d'idée très claire des conséquences de ces frappes. Mais, en tout cas, ce que l'on sait, c'est qu'une grosse partie des centrifugeuses, que ce soit à Natanz ou à Fordo, ont probablement été détruites. Pas forcément parce qu'elles ont été touchées par une bombe, mais parce qu'elles sont très fragiles, et d'autant plus sensibles aux vibrations, aux chocs et à la poussière. Par conséquent, l'Iran a bel et bien perdu une partie de son programme.

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Ce même Rafael Grossi affirme que l'Iran a sorti son stock d'uranium hautement enrichi du site de Fordo avant les frappes américaines.

Sur le sujet spécifique de l'uranium hautement enrichi, il y a effectivement ces 400 kg d'uranium enrichi à 60 % qui étaient produits et entreposés dans l'usine de Fordo et qui ont très probablement été sortis du site avant les frappes américaines. Selon certaines hypothèses, ce stock serait aujourd'hui bien caché à Ispahan, mais dont le site continue à se faire bombarder. Ou alors dans un autre site. Donc oui, il est possible qu'on ait perdu la trace de 400 kg d'uranium enrichi à 60 %.

Est-ce techniquement possible de déplacer, par exemple dans des camions, ces stocks d'uranium hautement enrichi ?

En réalité, un tel stock n'est pas très difficile à transporter. Il ne prend pas beaucoup de place et n'est pas radioactif. Il ne peut pas être détecté. Maintenant, cette hypothèse d'une perte complète de traçabilité sur ce stock n'est pas validée par les Israéliens, qui semblent sous-entendre qu'ils savent où il se trouve. Au contraire, les Américains semblent indiquer qu'ils en ont potentiellement perdu la trace.

Que représente cette quantité d'uranium enrichi ?

Cette quantité d'uranium enrichi ne représente pas de risque radiologique, mais elle peut servir à redémarrer un programme nucléaire.

L'Iran pourrait-il fabriquer une bombe à partir de ce stock ?

Citations Auteurs

Avec 400 kg d'uranium enrichi à 60 %, l'Iran dispose de la matière suffisante pour fabriquer jusqu'à une dizaine d'armes nucléaires. Maintenant, avoir la matière fissile ne suffit pas ; il est nécessaire de transformer celle-ci en uranium métal, ce qui n'est plus possible car l'usine de conversion d'uranium à Ispahan a été, semble-t-il, détruite. Il faut ensuite fabriquer des détonateurs pour pouvoir faire
exploser la bombe et enfin la placer sur un missile. Or le stock de missiles iraniens a été considérablement réduit par l'opération israélienne. Globalement, les bombardements ont tout de même servi à ralentir le programme nucléaire iranien. Mais, paradoxalement, nous avons aujourd'hui une visibilité beaucoup moins grande sur celui-ci qu'auparavant.

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L'Iran peut-il être tenté aujourd'hui d'utiliser ce stock d'uranium hautement enrichi pour se lancer à toute allure vers la construction d'une bombe nucléaire pour assurer la sanctuarisation du régime ?

Personne ne le sait exactement, mais cela peut être une option. Soit les Iraniens peuvent être complètement dissuadés par les frappes américaines et israéliennes et se dire qu'ils ne parviendront pas à relancer leur programme nucléaire sans que cela se sache, soit ils considèrent qu'ils ont déjà réalisé trop d'investissements en hommes et en argent pour rester au seuil nucléaire – une stratégie qui n'a pas fonctionné – et décident de jouer le tout pour le tout et d'aller le plus loin possible vers une arme nucléaire, mais d'une façon beaucoup plus secrète. Bien évidemment, on se dit que les Israéliens et les Américains ont pris ce risque en compte avant de lancer leurs frappes. Je pense que leur calcul, avec ces bombardements, est d'avoir réussi à neutraliser toute velléité iranienne de se lancer dans une telle course, mais, encore une fois, c'est un calcul qui est dangereux.

La question de ce stock d'uranium enrichi a-t-elle fait partie, selon vous, des négociations sur un cessez-le-feu ?

On ne sait pas du tout ce qui a été discuté ni, d'ailleurs, si ce cessez-le-feu va tenir dans la durée. Mais, pour moi, le cessez-le-feu ne fait pas partie d'un accord sur le nucléaire iranien. Il faut bien se rappeler qu'avant qu'Israël ne se lance dans son opération militaire, il existait des négociations spécifiques sur le programme nucléaire.

Il faut y revenir aujourd'hui parce que, en réalité, le cessez-le-feu est entre l'Iran et Israël ; or la République islamique ne reconnaît même pas l'existence de l'État hébreu. Il est nécessaire que l'on revienne à la table des négociations sur le nucléaire, comme ce qui était en cours avant le 13 juin dernier. À nouveau, il faudrait y inclure les États-Unis, mais surtout les pays européens et l'AIEA afin que celle-ci ait à nouveau une visibilité sur le programme atomique iranien.

Le Parlement iranien travaille sur un projet de loi visant à retirer l'Iran du traité de non-prolifération nucléaire. La République islamique pourrait-elle, selon vous, emprunter cette voie ?

Le Parlement s'est prononcé en faveur d'un tel retrait lundi, mais je trouve pour ma part que ce serait un peu contre-productif car cela enverrait le signal que le programme nucléaire iranien n'est pas strictement pacifique. Or les Iraniens ont tout intérêt à continuer à affirmer que c'est le cas.

La conclusion d'un cessez-le-feu militaire marque-t-il, d'après vous, la fin de la crise sur le nucléaire iranien ?

Non, pas du tout, parce qu'on en est à nouveau au même stade qu'avant le 13 juin et les frappes israéliennes en Iran. Certes, le programme nucléaire iranien a été partiellement ralenti, mais, de l'autre côté, on a tout de même complètement perdu toute traçabilité de ce programme étant donné qu'il n'y a plus d'accès aux sites nucléaires. Désormais, alors que les parlementaires iraniens ont voté pour suspendre leur coopération avec l'AIEA, l'Iran pourrait tout à fait s'engager dans un programme nucléaire clandestin, dont les Israéliens sauront probablement quelque chose mais pas la communauté internationale. Par conséquent, on sera totalement dépendants de l'appréciation de la situation qu'en fera le gouvernement israélien.

 

> Lire le texte complet sur le site du Point.

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Armin Arefi

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Héloïse FAYET

Héloïse FAYET

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Chercheuse, responsable du programme dissuasion et prolifération, Centre des études de sécurité de l'Ifri