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Trump en tournée au Moyen-Orient : « Si les Américains mettent la pression sur Nétanyahou, c’est fini pour lui »

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interrogé par Luc Mathieu et Hala Kodmani dans

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Le président des Etats-Unis s'envole ce lundi pour l'Arabie Saoudite, point de départ d'une tournée dans la région. Une visite cruciale, selon Adel Bakawan, sociologue et spécialiste du Moyen-Orient.

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WASHINGTON D.C., États-Unis - 7 avril 2025 : Le président des États-Unis Donald Trump rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche à Washington DC.
WASHINGTON D.C., États-Unis - 7 avril 2025 : Le président des États-Unis Donald Trump rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche.
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Chercheur associé au Programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri, Adel Bakawan dirige le nouveau centre de recherche European Institute for Studies on the Middle East, à Paris. Le sociologue, qui vient de publier la Décomposition du Moyen-Orient (éd. Tallandier), considère comme « très importante » la visite de Donald Trump en Arabie Saoudite (avant le Qatar et les Emirats arabes unis), devenue la principale puissance régionale. Et qui ne peut envisager de normalisation de ses relations avec Israël tant que la guerre à Gaza se poursuit et « sans une perspective sérieuse pour la question palestinienne ».

Pourquoi Donald Trump entame-t-il son voyage au Moyen-Orient par l’Arabie Saoudite ?

Il a compris que l’Arabie Saoudite est aujourd’hui au centre de toutes les gravités au Moyen-Orient. L’histoire de la région se fait aujourd’hui là-bas, et non pas aux Emirats, en Irak, en Syrie ou au Liban. Comme dans les années 1960, elle se faisait en Egypte, avec Gamal Abdel Nasser. Sans lui, rien ne se faisait. L’Arabie Saoudite a remplacé l’Egypte, et Mohammed ben Salmane [MBS, ndlr] a remplacé Nasser. Mais avec un autre paradigme évidemment, en intégrant toutes les transformations du Moyen-Orient.

Comment est-elle parvenue à cette position ?

Il y a eu plusieurs étapes. En 2003, elle rompt son alliance stratégique de plus d’un siècle avec les Etats-Unis en refusant de participer à l’invasion et à l’occupation de l’Irak. Elle y était farouchement opposée, comme la Turquie, et elle entraîne avec elle les pays arabes. C’était vraiment la rupture avec le « Grand Moyen-Orient » envisagé par les Etats-Unis après le 11 Septembre. Ils ne peuvent plus se tourner que vers l’Iran, pourtant l’un des pays de « l’axe du mal ». C’est avec l’Iran qu’ils ont reconstruit le nouvel Irak. En 2014, lors de l’apparition du califat de Daech, l’Arabie Saoudite ne peut pas rester neutre. Elle va mobiliser non seulement des moyens financiers, mais aussi militaires, diplomatiques et médiatiques contre l’Iran, car elle estime que c’est lui qui est derrière ce nouveau désordre au Moyen-Orient. En 2019, MBS se rend compte qu’il vivait sur une illusion, celle que les EtatsUnis défendraient l’Arabie Saoudite coûte que coûte, une illusion forgée sur l’intervention américaine pour défendre le Koweït contre l’Irak en 1990. L’Arabie Saoudite est alors visée par des tirs de drones et des missiles balistiques iraniens sur son sol et au Yémen. Donald Trump lui répond que les Etats-Unis ne sont pas attaqués et qu’ils n’interviendront pas.

Comment MBS réagit-il ?

Il met en place une commission de 60 personnalités, des diplomates, des géopoliticiens, des historiens, des anthropologues : des spécialistes des relations internationales. Ils doivent répondre à une seule question : qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? A partir de là, la nouvelle doctrine adoptée par Riyad est celle de la Turquie auparavant : n’avoir plus aucun problème avec les pays voisins. On assiste à une normalisation des relations du royaume avec le Yémen, la Chine, la Russie, les Emirats, et même à la signature d’un traité stratégique avec l’Iran en 2023 à Pékin. C’est la paix iranosaoudienne. L’ordre milicien est laissé à l’Iran tandis que l’Arabie Saoudite met en place un ordre sécuritaire, et autoritaire, basé sur la sécurité, la stabilité et le développement économique. Mais avec moins de démocratie et de droits de l’homme. Cela a tenu jusqu’aux attaques du Hamas, le 7 octobre 2023.

Qu’attend Trump de MBS ?

Probablement des investissements saoudiens à hauteur de 1 000 milliards de dollars [890 millions d’euros]. MBS a déjà annoncé 700 millions de dollars. Ce n’est pas rien bien sûr, mais ce serait une erreur de considérer que Trump n’y va que pour le business. Il a parfaitement compris, son administration aussi, que l’Arabie Saoudite a considérablement évolué depuis 2019. Il y a également une dimension personnelle à prendre en compte : Trump est fasciné par le prix Nobel de la paix. Il imagine qu’il pourrait l’obtenir s’il parvenait à convaincre l’Arabie Saoudite de rejoindre les accords d’Abraham et de normaliser ses relations avec Israël. Mais pour cela, il faut proposer une perspective à la question palestinienne, à savoir une proposition viable, qui puisse mener à la création d’un Etat palestinien. Mais MBS ne peut pas accepter de normaliser les relations avec Israël tant que Gaza est en guerre ? Non, il a trois conditions, dont celle de trouver une solution viable à la question palestinienne. Il veut par ailleurs l’autorisation de développer du nucléaire civil et un partenariat stratégique avec les Etats-Unis qui lui offrira la même protection que celle offerte à Israël.

Pourquoi l’Arabie Saoudite est-elle autant en retrait sur la guerre à Gaza? Pourquoi ne fait-elle pas plus ?

Elle ne s’engage pas parce qu’il n’y a aujourd’hui aucune perspective viable offerte par les pays régionaux et les puissances internationales. Et il n’y en aura pas tant que Benyamin Nétanyahou sera Premier ministre. Et il n’y a que deux acteurs capables de le faire partir : Donald Trump et la société israélienne. Il y a aujourd’hui quatre scénarios pour Gaza. Le premier est de déporter les Gazaouis, comme Trump l’a proposé dans son plan de « riviera du Moyen-Orient », mais il est irréalisable, les Gazaouis ne voudront pas tous partir. Le deuxième est ce qu’il se passe aujourd’hui, à savoir que l’armée israélienne les pousse dans le sud de Gaza, et de transformer en enfer ces 20 % de l’enclave pour qu’ils partent d’eux-mêmes, mais là aussi, ils préféreront mourir.

Le troisième scénario est d’amener une nouvelle gouvernance, comme dans le plan adopté par la Ligue arabe en mars, mais aucun pays arabe n’acceptera d’aller à Gaza si le Hamas ne désarme pas. Le quatrième, le plus probable, est que le chaos actuel se poursuive. Dans ce dernier scénario, l’Arabie Saoudite ne peut pas s’engager.

Trump a déclaré qu’il ferait une grande annonce sur le Moyen-Orient ce lundi, à la veille de son déplacement à Riyad. Pourrait-elle concerner Gaza ?

Oui, j’en suis persuadé. L’autre dossier est l’Iran, mais il y a des négociations en cours avec les Etats-Unis. Donc le plus probable est qu’il s’agisse de Gaza. Cela ne peut pas être son plan de riviera, pas plus qu’une occupation israélienne totale de Gaza. Cela pourrait être le plan arabe, modifié.

De quelle manière ?

La grande fragilité du plan arabe est la question du désarmement du Hamas. Il faut dire au Hamas que le moment est venu de choisir entre l’existence de Gaza et la sienne. Il faut qu’il désarme et que ses dirigeants qui sont toujours à Gaza s’exilent, au Qatar ou en Turquie. Aucun Etat arabe n’accepte d’aller à Gaza sans le désarmement du Hamas.

Le Hamas pourrait-il accepter ? Pour le moment, tout le monde a besoin du Hamas pour négocier un cessez-le-feu. Et il faut rappeler qu’il ne fait pas partie du jihad internationaliste qui souhaite mourir pour mourir. C’est un mouvement jihadiste palestinien qui fait partie des Frères musulmans, qui sont pragmatiques. Il veut savoir à quel moment on négocie, à quel moment on avance, à quel moment on recule.

Comment les Saoudiens peuvent-ils influer sur Trump ?

Les Saoudiens ont utilisé toutes les cartes de pression sur la Maison Blanche pour que les Etats-Unis signent un cessez-le-feu avec les Houthis du Yémen, pour ne pas mettre en danger la présence du président américain lors de sa visite en Arabie Saoudite. Négocié par Oman après des semaines de frappes aériennes américaines au Yémen, l’accord a été conclu mardi. Nétanyahou est d’ailleurs très en colère contre Trump. Il l’a dit clairement alors qu’il avait annoncé ne pas lancer son opération sur Gaza avant la visite de Trump dans le Golfe.

Pourrait-on voir Trump s’opposer à Nétanyahou ?

Il y a quelque chose qui se déchire entre les deux. Si les Américains mettent la pression sur Nétanyahou pour qu’il parte ou qu’il change sa stratégie, c’est fini pour lui. Il perd le soutien de l’extrême droite et une nouvelle période s’ouvre aux Israéliens. Avec Nétanyahou, rien n’est possible, mais si son gouvernement chute, cela ouvre d’autres possibilités, dont la formation d’un gouvernement avec qui on peut négocier. Aujourd’hui, la négociation avec l’Arabie Saoudite et Israël est bloquée à cause de Benyamin Nétanyahou qui refuse les conditions de Riyad pour la normalisation.

Donald Trump pourrait-il annoncer un cessez-le-feu à Gaza ?

Ce déplacement est très important parce qu’il précède la conférence [internationale de l’ONU] du mois de juin. Avec Trump, Mohammed ben Salmane pourrait construire quelque chose à proposer au mois de juin avec le président Macron à New York. Pour que cette conférence soit crédible, il faut construire en amont quelque chose avec le président américain. Et cette chose-là, cette surprise-là, pourrait concerner le règlement de la question palestinienne. Sous quelle forme ? On ne sait pas. En tout cas, une normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël est impossible sans une perspective sérieuse pour la question palestinienne.

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