Cette série de remaniements, couplée à des incertitudes budgétaires et une pression croissante des oppositions, a projeté le pays dans une crise institutionnelle où chaque jour semble remettre en cause les équilibres précédents. Mais quelles sont les retombées sur l’Union européenne et le tandem franco-allemand ? Analyse de Jeanette Süß, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes de l’Ifri. 

Comment la crise politique affecte-t-elle la crédibilité de la France auprès de ses partenaires européens ?

L’instabilité politique que traverse la France affaiblit son leadership et compromet sa crédibilité sur la scène européenne. Les remaniements gouvernementaux à répétition rendent Paris imprévisible aux yeux de ses partenaires à Bruxelles : à chaque nouveau cabinet, le pays repart de zéro, ce qui empêche la France d’imprimer sa marque sur les grandes négociations européennes et laisse l’Allemagne ainsi que les États membres de moindre poids occuper le devant de la scène. Même si le président Macron demeure un acteur très visible sur les questions de sécurité européenne — notamment en codirigeant avec le Royaume-Uni la « coalition des volontaires » pour l’Ukraine —, les turbulences internes limitent la capacité de la France à traduire cette visibilité en influence constante. La montée du Rassemblement National inquiète de plus en plus les partenaires européens, qui redoutent qu’un nouveau remaniement, voire une dissolution de l’Assemblée nationale, ne remette en cause le soutien de la France à l’Ukraine, accentue une ligne plus pro-russe et fasse primer les intérêts nationaux au détriment du projet européen.

En quoi la situation financière rend-elle impérative la mise en place rapide d’un budget français crédible ?

La fragilité budgétaire française est aujourd’hui centrale dans les préoccupations européennes : avec une dette publique de 112% du PIB, un coût de service de la dette historique et des marchés qui pourraient s’affoler en cas de vacillement politique prolongé, l’absence de projet de loi de finances risquerait d’accentuer la perte de confiance.

La semaine dernière, Roland Lescure, ministre de l’économie démissionnaire sous Sébastien Lecornu, a dû rassurer ses homologues au Luxembourg, où se tenait le Conseil des affaires économiques et financières, insistant sur la volonté du gouvernement de tenir ses engagements européens et d’obtenir un budget adapté avant Noël, fidèle aux promesses de réduction des déficits et d’accompagnement de la croissance. Cette intervention visait à apaiser une réelle inquiétude à propos de la capacité de la France à ne pas déstabiliser l’ensemble de la zone euro, alors que la perspective d’une remise en cause des réformes structurelles (notamment les retraites) plane et que la France promet désormais un déficit inférieur à 3% du PIB… mais pas avant 2029. Donc le temps presse car l’adoption du budget est un test décisif pour éviter une contagion financière qui affaiblirait l’influence de la France à Bruxelles.

Quelles différences structurelles expliquent la fragilité française par rapport à l’Allemagne ?

Le système politique français, marqué par la personnalisation du pouvoir et des majorités souvent fragiles, diffère nettement du modèle allemand. En Allemagne, les gouvernements reposent traditionnellement sur des coalitions plus stables, les partis affichent une discipline interne plus forte et la rotation ministérielle est bien plus rare. Cette architecture promeut la continuité dans l’action publique, alors qu’en France, chaque remaniement fragmente la capacité à porter des projets de long terme. Un manque de continuité dans les portefeuilles ministériels peut donc fragiliser le couple franco-allemand, pourtant essentiel pour l’UE.​

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