10
mai
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Mathilde VELLIET, citée par Marie Campistron pour le Parisien.

Aide militaire à l’Ukraine : 5 minutes pour comprendre la loi « Prêt-bail » réactivée par Biden

Renouvelant son soutien à l’Ukraine, le président américain peut, grâce à ce dispositif hérité de la Seconde Guerre mondiale, fournir rapidement une aide militaire à Kiev, tout en conservant une forme de neutralité dans le conflit. Explications.

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Alors que la Russie commémorait lundi la victoire de la Russie sur les nazis, les États-Unis ont ravivé, à leur tour, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Poursuivant son aide à l’Ukraine, le président Joe Biden a signé lundi une loi permettant d’accélérer l’envoi d’équipement militaire, en réactivant un dispositif de la guerre de 39-45. Le chef d’État ukrainien Volodymyr Zelensky croit y voir une « étape historique ». Qu’implique ce dispositif et pourquoi le réactiver aujourd’hui ? On fait le point.

Qu’est-ce que le dispositif Roosevelt ?

Près de 80 ans après sa dernière application, le dispositif Roosevelt refait surface. Le locataire de la Maison Blanche, Joe Biden a remis sur le devant de la scène cette loi de « prêt bail » ( « Lend Lease »), qui permet d’accélérer l’envoi d’équipement militaire à un pays en guerre. Concrètement, cette mesure « facilite le prêt d’armes, en supprimant une série d’obstacles qui pourraient ralentir la procédure », relève Mathilde Velliet, chercheuse à l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) et spécialiste de la politique américaine. « Elle facilite entre autres la durée de prêt au-delà de 5 ans et élève les plafonds de remboursement », ajoute-t-elle.

Le texte baptisé, Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act, a été soutenu quasi unanimement par le Congrès américain, seuls 10 élus de la Chambre des représentants ont voté contre, selon la Maison Blanche.

D’où vient-il ?

Ce dispositif avait été déclenché en 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale. À l’époque, le président américain Franklin D. Roosevelt souhaite fournir aux pays alliés du matériel de guerre, tout en conservant sa neutralité dans le conflit. Une position délicate à défendre : « Roosevelt a dû batailler pour convaincre les membres du Congrès très réticents à participer à une aide militaire. Car à l’époque, l’isolationnisme [une doctrine qui prônait un non-interventionnisme] occupait une place très forte au sein de l’opinion publique », poursuit Mathilde Velliet.

Le prêt d’armes est alors l’option défendue face aux élus américains. « Pour convaincre, Roosevelt utilise l’image d’un tuyau d’arrosage : si la maison de votre voisin est en feu, vous n’attendez pas qu’il vous paie le tuyau pour l’utiliser, vous lui prêtez », raconte l’historienne Nicole Bacharan, et autrice des Grands jours qui ont changé l’Amérique.

Le programme signé le 11 mars 1941, après un vote de la Chambre des représentants, permettra finalement de « vendre, céder, échanger, louer, ou doter par d’autres moyens » tout matériel à tout État « dont le Président estime la défense vitale à celle des États-Unis. » Pressés par Winston Churchill, les États-Unis fourniront aussitôt une aide militaire aux Britanniques pour résister aux forces aériennes allemandes, lors de la Bataille d’Angleterre qui s’achèvera en mai 1941. Puis, Washington livrera des armes aux forces chinoises… et soviétiques dans le courant de l’année.

Quelle portée symbolique ?

Difficile de ne pas voir dans la signature de cette loi, un moyen de rappeler la contribution décisive des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que la Russie célébrait ce même jour sa victoire sur l’ennemi nazi. « Joe Biden se place dans les pas de Roosevelt, en se posant comme le garant des démocraties contre les régimes autoritaires. Une position qu’il tient depuis le début du conflit en Ukraine, bien qu’il ne veuille pas s’engager dans la guerre », rappelle Nicole Bacharan.

 

La mémoire de la Second Guerre mondiale se retrouve encore dans les mots prononcés par certains élus après la signature, réactivant le dispositif Roosevelt. Le sénateur républicain du Texas, John Cornyn, s’est dit lundi « heureux que l’Amérique puisse agir comme l’arsenal de la démocratie » pour son partenaire. Une expression employée mot pour mot, il y a près de 80 ans par le président Roosevelt, après la naissance du dispositif.

Mais le parallèle avec la Grande Guerre s’arrête vite - la précieuse aide américaine ayant été autrefois fournie à l’Union soviétique, dans leur lutte contre le nazisme. Un combat que prétend aujourd’hui justement mener Moscou, justifiant l’invasion de son voisin ukrainien. Cette fois enfin, l’administration américaine n’a pas eu besoin de convaincre les élus et l’opinion publique, de l’urgence d’une aide à fournir au pays agressé, nuance Mathilde Velliet.

En signant ce « prêt bail », Washington poursuit sa colossale politique de soutien envers l’Ukraine : l’administration Biden a déjà apporté quelque 3,8 milliards de dollars à Kiev et demande même au Congrès une rallonge de 33 milliards. Les États-Unis conservent ainsi leur position de premier contributeur d’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine, souligne Nicole Bacharan. « Les efforts s’inscrivent dans la durée pour soutenir les soldats ukrainiens, reste maintenant à savoir jusqu’où sera prête à aller la Russie. »

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