Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Conflit israélo-palestinien : en France, un débat particulièrement piégé

Interventions médiatiques |

interviewé par Juliette Bénabent pour

  Télérama
Accroche

Débordements, amalgames, autocensure et suspicion généralisée : les échos en France du conflit israélo-palestinien ont toujours eu une intensité spécifique, retracent les chercheurs Lætitia Bucaille et Marc Hecker.

Image principale médiatique
Rassemblement sur la place Victor Hugo en soutein d'Israël après l'attaque du Hamas, Paris, 9 octobre 2023
Rassemblement sur la place Victor Hugo en soutein d'Israël après l'attaque du Hamas, Paris, 9 octobre 2023
Vernerie Yann/Shutterstock
Contenu intervention médiatique

Rassemblements de soutien au peuple palestinien interdits après des débordements passés ; menaces redoutées contre des lieux de culte ou d’enseignement juifs ; discours politiques binaires… À chaque nouvel embrasement du conflit israélo-palestinien, la société française se crispe. « Elle réagit très vivement aux événements sur place, confirme Lætitia Bucaille, professeure de sociologie politique à l’Inalco et spécialiste de ce conflit. Le 7 octobre, ça a très mal démarré avec des polémiques affligeantes dans la classe politique. » Après le refus de La France Insoumise de condamner clairement l’attaque du Hamas, ses adversaires n’ont pas ménagé leurs critiques. « Le débat est particulièrement piégé en France, où de nombreuses personnes ont des liens affectifs, familiaux, personnels en Israël et aussi en Palestine. Les raccourcis arrivent vite, dans les deux sens, et on aboutit à des caricatures évidemment fausses, comme si nous étions en présence de deux camps essentialisés : des soutiens d’Israël forcément partisans de son gouvernement ; et des soutiens du peuple palestinien forcément soupçonnés d’indulgence envers le terrorisme. ».

Cette vision simpliste, cette difficulté à entrer dans la complexité trouvent leur source, en partie, dans l’histoire mouvante des liens entre l’opinion et la classe politique françaises d’une part, et les forces en présence en Israël d’autre part. Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales et auteur en 2012 d’Intifada française ? De l’importation du conflit israélo-palestinien (éd. Ellipses), rappelle :

« Les Français ont été majoritairement favorables à l’État d’Israël dès sa création, en 1948, avec une volonté sincère d’aider à son développement. Volonté portée par une tendance humaniste et moraliste s’appuyant sur le souvenir de la Shoah, et aussi par une culture catholique : la fille aînée de l’Église devait jouer un rôle dans la stabilisation de ce nouvel État en vue de protéger les lieux saints et les institutions chrétiennes. » Mais la lune de miel n’a pas duré : « La guerre des Six-Jours, en juin 1967, a complètement changé la donne, avec le début de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. »

 

Le soutien à Israël est devenu plus communautaire au cours du temps : aujourd’hui, il est surtout porté par des structures de la communauté juive., Marc Hecker

 

La France de De Gaulle et de Pompidou décrète alors un embargo sur la vente d’armes à Israël, le Général attribue publiquement la responsabilité du conflit à Israël, puis, en novembre 1967, évoque dans une conférence de presse restée célèbre les Juifs comme un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Les relations entre les deux pays commencent à se dégrader, en même temps que naît en France un mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, soutenu par « quatre blocs, poursuit Marc Hecker

« Les populations arabes vivant en France ; certains catholiques de gauche, à l’image de l’hebdomadaire Témoignage chrétien, qui organise des voyages sur place pour ses lecteurs ; les réseaux gaullistes qui, après la guerre d’Algérie, renouent avec les pays arabes au détriment d’Israël. Et enfin le bloc le plus constant : l’extrême gauche, qui dès 1967 prend fait et cause pour la cause palestinienne au nom de l’anticolonialisme et de l’anti-impérialisme ».

En parallèle, le soutien français à Israël, sans disparaître, évolue : « Il est diversifié jusqu’en 1967, avec par exemple une figure comme Johnny Hallyday, qui donna un concert de solidarité à Israël juste avant la guerre des Six-Jours. Mais ce soutien à Israël et à sa population est devenu plus communautaire au cours du temps : aujourd’hui, il est surtout porté par des structures de la communauté juive, comme le Crif. »

Au fil des décennies, les épisodes de réchauffement du conflit – en 2014, en 2021 notamment – provoquent réactions, tensions, affrontements parfois sur le sol français. À chaque fois, précise Marc Hecker, « on observe une recrudescence des actes antisémites, la corrélation est documentée.»

« Certains rassemblements donnent lieu à des débordements, appels à la violence, slogans haineux. Et pas seulement dans les quartiers populaires : en 2014, Sarcelles s’est embrasée, mais il y a aussi eu des attaques contre des synagogues de centre-ville, comme près de Bastille, à Paris. Ces violences passées motivent la méfiance actuelle des autorités, mais selon les organisateurs, leurs mots d’ordre et leurs services de sécurité, les risques varient sensiblement. Les services de police doivent avoir une connaissance fine des acteurs et de leurs positions pour bien évaluer ces risques ».


Lætitia Bucaille se demande aussi si la protection des lieux de culte juifs et des écoles confessionnelles, « évidemment indispensable, devait être à ce point médiatisée par le ministre de l’Intérieur… Les attaques redoutées sont en quelque sorte évoquées a priori et renforcent la méfiance de part et d’autre ».

Devant les horreurs du 7 octobre, chacun est sommé de choisir son camp, et vite., Lætitia Bucaille.

Les circonstances inédites du déclenchement de cette nouvelle séquence de violences – « un massacre perpétré par le Hamas », résume Marc Hecker – n’incitent pas à la nuance. « Devant les horreurs du 7 octobre, chacun est sommé de choisir son camp, et vite, déplore Lætitia Bucaille. La polarisation du débat s’est déjà sédimentée lors de la seconde Intifada (2000-2005), avec de nombreux attentats-suicide commis par des organisations palestiniennes et une répression israélienne très dure, qui ont marqué un approfondissement du clivage. En France aujourd’hui, il est très difficile de faire preuve de nuance à propos des événements sur place. Il est indispensable de faire attention aux termes qu’on emploie. »

[...]

> Lire l'interview sur le site de Télérama

 

 

 

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Marc HECKER

Marc HECKER

Intitulé du poste

Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri

Crédits image de la page
Rassemblement sur la place Victor Hugo en soutein d'Israël après l'attaque du Hamas, Paris, 9 octobre 2023
Vernerie Yann/Shutterstock