09
nov
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Matthieu TARDIS, cité par Pierre Lann dans Marianne

Peut-on interdire les transferts d'argent vers des pays qui ne rapatrient pas leurs ressortissants ?

L'ancien ministre de l'Économie, Arnaud Montebourg, a proposé de bloquer les transferts d'argent vers les pays qui ne rapatrient pas leurs ressortissants pour les y contraindre. Alors que la mesure risque de se heurter à un obstacle légal, plusieurs spécialistes interrogés par « Marianne » la juge inopérante en pratique et dangereuse en ce qu'elle risquerait de fragiliser des États déjà instables.

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QUE PROPOSE ARNAUD MONTEBOURG ?

Invité au micro du Grand Jury sur RTL, dimanche 7 novembre, le candidat de la « Remontada de la France » a proposé de bloquer les transferts d'argent vers les pays qui ne rapatrient pas leurs ressortissants.  « Il y a 11 milliards de transferts d’argent qui passent par Western Union sur l’ensemble des pays d’origine. Nous bloquons tous les transferts aussi longtemps qu’on n’a pas un accueil de coopération. Ce sont des transferts d’argent privé qui aujourd’hui sont une manne pour ces pays, et nous avons besoin de dire ‘ça suffit’ », a justifié l'ancien ministre socialiste de l'Économie.

Enfonçant le clou sur l'immigration, Arnaud Montebourg a poursuivi : « Pourquoi on n’arrive pas à intégrer ? Vous avez aujourd’hui 100 000 mesures d’obligation pesant sur des personnes qui doivent quitter le territoire qu’on n’arrive pas à exécuter. Ces personnes sont là et sont d’ailleurs souvent des délinquants. Donc, moi, je suis décidé à taper au portefeuille. »

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EST-CE QUE C’EST FAISABLE ?

La proposition d'Arnaud Montebourg risque de se heurter à un premier obstacle juridique. Le droit de l’Union Européenne prévoit en effet que « toutes les restrictions aux paiements entre les États membres ou entre les États membres et les pays tiers sont interdites ». Il y a en effet un principe de liberté de circulation des capitaux, qui s'étend également aux pays qui ne sont pas membres de l'Union Européenne. Il est tout de même possible d'y déroger pour assurer l'ordre et la sécurité publique. Mais il faut alors faire « la preuve qu'il s'agit d'une mesure nécessaire et proportionnée », explique Francesco Martucci, professeur de droit public à l'université Panthéon-Assas, interrogé par Marianne.

« Je doute que l'État puisse justifier de la proportionnalité de cette mesure », poursuit ce spécialiste du droit économique et financier qui ajoute qu'il est aussi possible que « Western Union la conteste, en considérant qu'il s'agit d'une atteinte à la liberté d'entreprendre, garantie par la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ». Cette mesure pourrait donc engendrer un contentieux juridique.

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Enfin, les spécialistes interrogés doutent que cette mesure soit de nature à contraindre les pays d'origine à accueillir leurs ressortissants résidant illégalement en France. 

  • « Il faut bien voir que si ces pays ne coopèrent pas, ce n'est pas nécessairement par mauvaise volonté. Il y a des enjeux politiques. Trop coopérer avec les pays occidentaux est perçu dans les opinions publiques locales comme aller contre les intérêts du peuple. Dans le même temps, l'opinion publique française pousse pour qu'il y ait plus d'expulsions. C'est opinion publique contre opinion publique », résume Matthieu Tardis, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
  • « Ces transferts ont une importance vitale pour les familles des migrants et pour l'économie de ces pays qui sont déjà très fragiles. Les supprimer risque d'accroître leurs difficultés et d'entraîner une instabilité, qui mènerait potentiellement à créer de nouvelles vagues de migration avec le flot de drames que l'on connaît », poursuit Matthieu Tardis qui considère que la mesure proposée par Montebourg serait contraire aux intérêts français.

 

« Lorsque Trump a menacé le Mexique de tarir ces flux financiers, cela a plutôt conduit à exacerber les tensions qu'à faciliter la diplomatie sur l'immigration illégale. Dans le même temps, les pays d'émigration ont aussi des moyens de pression. On l'a vu quand le Maroc a laissé des milliers de migrants franchir la frontière pour punir l'Espagne. Et à la fin, les perdants ce sont les migrants », averti Camille Le Coz.

 

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Mots-clés
migration politique migratoire France Union européenne