Pour en finir avec la critique de l'aide au développement : Esquisse des courants actuels

Alors que l’on s’interroge de façon de plus en plus vive sur l’impact et l’efficacité des politiques d’aide au développement, il devient nécessaire, pour éclairer ce débat, de faire le point sur la critique du système d’aide, toujours plus présente et parfois très radicale.
Loin d’être un phénomène récent, cette critique a toujours été consubstantielle aux théories du développement et aux politiques de sortie de la pauvreté. L'Ecole de la dépendance, dès les années 60, a incarné un des points culminants de cette contestation. La principale idée défendue par ses représentants était que la périphérie destinataire de l'aide ne pourrait jamais effectuer le rattrapage supposé par l'idéologie dominante du développement et que ce dernier n’aboutirait qu’à entretenir l’inégalité. Pour sortir de cette dépendance et de l'échange inégal, il était impératif d'inventer un nouveau mode d'allocation des ressources ou de sortir de l'internationalisation de l'économie en privilégiant un cadre national de développement intégré. Samir Amin était une des grandes voix de cette école et a formulé une critique parfois radicale des théories de la modernisation et du décollage économique des pays pauvres. En 1969, Ivan Illich critiquait sans concession les grandes logiques et les grandes institutions qui orientent le développement. A l'occasion de la présentation du "rapport Pearson" à Robert McNamara, alors président de la Banque Mondiale, Illich dénonce la "pauvreté planifiée" et l'imposture cachée derrière l'idée que les pays riches puissent et doivent représenter un modèle à rattraper. Le "sous-développement" n’était pour lui que la "conséquence d'un développement continuel". Le développement du Nord n’était, pour l’école de la dépendance, que le produit de la domination du Nord sur le Sud.
Plus tôt encore, à la charnière de la mise en valeur coloniale et de l'avènement de l'aide au développement, les logiques institutionnelles et l'efficacité de l'intervention en milieu rural sont critiquées par des grandes figures de l’époque. René Dumont met ainsi en lumière, dans un réquisitoire sévère, les errements et les gaspillages du FIDES (Fonds d'investissement pour le développement économique et social) et du FAC (Fonds d'aide et de coopération) et déplore les logiques de mise en valeur des vallées d’Afrique de l’ouest. La continuité entre les logiques coloniales et les logiques de développement, qui produisent les mêmes effets et qui sont caractérisées par la même inefficacité, est soulignée par bien des observateurs de l'époque. Parallèlement à ces dénonciations, les analyses des difficultés du développement économique ont une audience significative. L'idée que le progrès technique et que l'accumulation du capital ne déterminent mécaniquement ni la sortie de la pauvreté, ni l'essor des économies, sont déjà défendues par Paul Bairoch, un des plus illustres contempteurs des théories de sortie du " sous développement ".
La critique du système d'aide a ainsi toujours accompagné de façon coextensive l’histoire du développement des pays pauvres. D’autres manifestations ou tendances historiques de cette critique pourraient être évoquées. On pourrait citer les mises en cause très critiques, par Preston, de la dialectique de l'État et du marché, qui depuis plusieurs décennies, soutient les débats et les grandes orientations universalistes des logiques de développement. Proche de lui, J. Brohman dénonce également les matrices générales qui par l'action de l'État ou celle du marché prétendent donner les clés d'un développement et d'une sortie de la pauvreté.
Notre objectif n’est cependant pas de retracer la déjà longue histoire de cette critique du développement mais de faire le point sur ses formes et sur ses prolongements les plus actuels. La dénonciation des logiques et des effets du système d’aide n’a en effet cessé de s’amplifier. Elle s’est aujourd’hui divisée en plusieurs courants et rencontre une audience plus large dans un contexte général de vives interrogations sur l'efficacité de l'aide. Il s’agit donc ici de proposer une lecture ordonnée de cette critique qui devient confuse tant elle est aujourd’hui fragmentée, tant elle se déploie dans des directions très variées, s’attachant à dénoncer les paradigmes qui orientent les théories du développement, ses résultats, mais aussi ses acteurs, leurs méthodes et leurs outils d’intervention. Un éclairage sur les principaux constituants de cette critique sera ainsi proposé. C’est d’abord le courant du " post-développement " qui sera présenté. Une démarche contradictoire nous permettra ensuite d’en isoler les lignes critiques les plus fragiles et les plus discutables. Il sera alors possible, à l’issue de cette discussion, de mettre en évidence d’autres dimensions de la critique du système d’aide qui bien que moins largement diffusées, nous semblent heuristiquement plus fécondes.
Gérald Liscia est responsable du département des sciences politiques et sociales de l'ISTOM.
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