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Gabon : Un modèle politique issu d'une transition (presque) exemplaire ?
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Les 27 septembre et 11 octobre 2025, les citoyens gabonais élisent dans un scrutin à deux tours à la fois les pouvoirs municipaux et les députés de la nouvelle Assemblée nationale. Il s’agit de l’étape presque ultime d’une transition politique qui s’approche de sa fin, un peu plus de deux ans après le coup d’État ayant renversé le régime dynastique plus que trentenaire des Bongo, celui du père, Omar, mort au pouvoir en 2009, puis celui de son fils, Ali, maintenant en exil.

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Le président gabonais Brice Oligui Nguema
Le président gabonais Brice Oligui Nguema
© présidence du Gabon
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Le leader syndical Jean-Rémy Yama ne siégera pas dans la nouvelle législature, les autorités ayant rejeté la validité de son acte de naissance, tout comme celui de sa mère, entraînant ainsi son exclusion des élections présidentielles, au mois d’avril dernier, et maintenant des législatives. Ce ne serait là qu’un simple cas personnel si Yama n’était pas également l’une des personnalités les plus populaires du pays.

Le nouveau maître du Gabon, Brice Clotaire Oligui Nguema, l’architecte du putsch du 30 août 2023 devenu depuis un chef d’État élu, s’est distingué par sa gestion habile et attentive de la transition, de l’immédiat après-coup d’État à la restauration finale des normes constitutionnelles. Celle-ci lui a permis de s’installer au pouvoir pour un mandat de sept ans, avec une légitimité reconnue. Il a su mobiliser un consensus anti-Bongo pour promouvoir son propre agenda et se dégager le chemin vers la victoire sans recourir à des outils répressifs.

Après la multiplication depuis 2020 de putschs ouest-africains (Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger), le renversement du régime dynastique des Bongo par le chef de la garde présidentielle a pu apparaître, alors, comme leur écho en Afrique centrale et l’ultime avertissement adressé à une classe politique africaine irresponsable. Mais il n’en est rien : très rapidement, Oligui Nguema s’est différencié des dirigeants militaires du Sahel. Adoptant une tenue civile, symbole d’adhésion aux valeurs constitutionnelles, il s’est employé à rassurer ses concitoyens comme ses partenaires régionaux et internationaux, sur sa double volonté d’opérer rapidement un retour à l’état de droit et de maintenir les alliances traditionnelles avec les pays occidentaux, sans se rapprocher de la Russie ni demander le départ de la France – présente militairement au Gabon depuis près de deux siècles. 

Se concentrant sur les problèmes intérieurs et l’unité nationale, Oligui Nguema s’est présenté en rassembleur, en faisant appel à la fois, durant la période de transition, à des opposants traditionnels de diverses origines, des figures de la société civile mais aussi des personnalités ayant occupé de hautes fonctions sous la présidence d’Ali Bongo. 

Avec habileté, il a lancé un dialogue national pour débattre très largement des principes d’une future constitution, tout en se ménageant le dernier mot. Dressant la feuille de route de cette transition, il en accéléra le calendrier pour prendre les devants et s’assurer une élection aisée à la présidence. Yama exclu de la course, il ne gardait pour seul challenger de poids qu’Alain-Claude Bilie-By-Nze (« BBN »), dernier Premier ministre d’Ali Bongo et donc condamné d’avance à une défaite écrasante.

Aujourd’hui, on prête au général Mamady Doumbouya, leader du régime guinéen et ancien légionnaire français, un suivi attentif et intéressé au parcours d’Oligui Nguema. En effet – et en contraste avec les putschistes sahéliens qui ont choisi de prolonger leur pouvoir pour au moins cinq ans sans consultation électorale –, Doumbouya vient tout juste d’organiser un référendum pour obtenir l’approbation populaire d’une nouvelle constitution qui lui permettra de se reconvertir en chef d’État élu, avec une légitimité reconnue par des partenaires internationaux.

Mais l’histoire politique de la Guinée, tachée de longs épisodes répressifs et d’un très faible bilan en termes de développement, a peu à voir avec le contexte gabonais – où le passé autoritaire prenait une forme nettement plus policée.

Cependant, pour Oligui Nguema, après une élection triomphale en avril dernier mettant fin à la période de transition et à la consolidation du pouvoir, il doit à présent affronter des défis économiques, sociaux et politiques.

Profitant de sa popularité de « tombeur des Bongo », d’arbitre de la transition et d’architecte du nouveau Gabon, ses soutiens ont fondé un mouvement politique, désormais transformé en parti : l’Union des bâtisseurs (UDB). Mais quelle sera la solidité de cet appareil, une fois arrivé le temps des choix difficiles et des décisions impopulaires ? Au Gabon, l’histoire a souvent vu l’émergence de voix contestataires – syndicales, politiques ou parmi une société civile vivace – qui ont trouvé un large écho populaire lorsque des acquis sociaux ont été menacés.

Face à d’intenses pressions financières, il va devoir répondre aux attentes de la masse des électeurs tout en évitant d’aliéner la classe gouvernante plutôt privilégiée qui fait tourner la machine de l’État et l’économie formelle.

De plus, l’exfiltration nocturne vers l’Angola d’Ali Bongo, de son épouse Sylvia et de son fils Noureddin, ces deux derniers poursuivis par la justice, a provoqué l’indignation à Libreville, où l’opinion interpréta l’épisode comme une concession faite au supposé souhait de l’Union africaine d’éviter une chasse aux sorcières. En réalité, ce départ discret, fermant la porte à la perspective d’un procès de Sylvia et de Nourredin, soulage une partie de la classe dirigeante. Ce long procès aurait conduit à jeter une lumière crue sur les mécanismes et pratiques de l’ancien système. Pourtant, la demande populaire sur ces sujets demeure importante.

En entamant cette nouvelle carrière de leader politique et chef d’État et de gouvernement, Oligui Nguema jouit d’un atout important. Dans un pays où les bases ethniques de la vie politique nationale – ce que le président Omar Bongo appelait la « géopolitique » – conservent une certaine importance, il peut s’appuyer sur sa double origine, du Nord-Ouest (Nguema – Fang) et du Sud-Est (Oligui – Obamba), que son nom à lui seul révèle à tous, alors que l’ère Bongo était celle d’une prééminence exclusive de la province du Haut-Ogooué.

Pourtant, dans un Gabon qui s’est de plus en plus mélangé ethniquement et religieusement durant les décennies de prospérité pétrolière et où le poids de la population urbaine pèse de plus en plus, les gouvernants ne peuvent plus compter autant sur les loyautés communautaires.

Ils doivent, en cette troisième décennie du XXIe siècle, faire face à de fortes attentes économiques et sociales, et surtout dans les deux principales villes, Libreville et Port-Gentil – où l’administration ne pourra plus garantir, comme sous Omar Bongo, l’emploi pour tout jeune diplômé. Ali Bongo avait promis beaucoup de réformes et une économie modernisée. La réalité, bien que marquée par certaines avancées, n’était pas à la hauteur des attentes.
Dans l’Afrique des années 2020, la société civile gabonaise, dominée par une classe urbaine éduquée à l’occidentale et très fortement liée à la diaspora, notamment en France, ne se laissera pas manœuvrer aisément par le nouveau pouvoir. Les impératifs politiques majeurs restent donc la création d’emploi pour les jeunes, la croissance économique, les programmes sociaux et la relance de la production de cultures vivrières – dans un pays où la population urbaine se nourrit surtout de produits importés.

Mais pour Oligui Nguema, les moyens risquent de manquer. Le Gabon dépend toujours autant du pétrole et de la fluctuation de ses cours mondiaux, tandis que la question de la dette publique (dont celle envers la Chine) se pose avec une acuité croissante. Selon les prévisions de la Banque mondiale, celle-ci devrait dépasser 86 % du PIB en 2027, bien au-dessus de la limite des 70 % incluse dans les critères de convergence de la Communauté économique d’Afrique centrale, l’union monétaire régionale dont relève le Gabon.

Quant aux ressources nationales, la production pétrolière qui reste dominante a cependant régressé en volume depuis le pic des années 1990 ; le pays devra relancer l’exploration, principalement offshore, pour trouver de nouvelles réserves. C’est bien sûr une question de géologie, mais aussi de voisinage. Le Gabon vient en effet d’éprouver une grande déception avec la décision de la Cour internationale de justice, au mois de mai 2025, statuant en faveur de la Guinée équatoriale dans un différend territorial sur trois petites îles inhabitées mais situées dans un espace maritime à potentiel pétrolier.
L’exploitation des ressources est aussi une question de régulation étatique par la politique fiscale. À cet égard, le régime d’Ali Bongo a initié un mouvement en ce sens avec un nouveau code pétrolier qui se révéla décourageant pour les investisseurs. Le gouvernement avait finalement dû revoir sa copie. Par ailleurs, la découverte de nouveaux réservoirs d’hydrocarbures ne soulagerait pas la pression financière actuelle sur le gouvernement, qui ne peut trop compter sur un appui de la part des bailleurs extérieurs.

La France, partenaire financier traditionnel dans le cadre de la « Zone franc », exclut le Gabon – pays à revenu intermédiaire – de la liste des bénéficiaires de dons (et non de prêts) au titre de son aide publique au développement (APD). En outre, face à d’intenses contraintes budgétaires, Paris réduit actuellement le montant de son APD et le Gabon risque d’en faire les frais.

Bien qu’une invitation personnelle d’Oligui Nguema à la Maison-Blanche pour rencontrer Donald Trump au mois de juillet, aux côtés de quatre autres chefs d’État africains, ait témoigné d’un renouveau d’intérêt américain pour les ressources naturelles gabonaises, elle n’apportait finalement aucune promesse de soutien financier.

Dans ces conditions, le président gabonais a cautionné de nouveaux emprunts sur des marchés régionaux et internationaux – avec un Eurobond de 520 millions de dollars – pour financer des infrastructures, des services publics et liquider d’anciennes obligations. De même, il a donné son accord pour un préfinancement d’un milliard de dollars de la part du trader suisse Gunvor, pour permettre à la société pétrolière nationale Gabon Oil Company d’acheter les avoirs de la compagnie Assala Energy (juillet 2024) au fonds américain Carlyle – un geste en phase avec le ton souverainiste de l’Afrique actuelle, même s’il est également stratégique sur le plan économique.

Progressivement, le pays risque de s’approcher des limites viables d’une politique d’endettement et de dépense publique confrontée à un contexte baissier des cours mondiaux du pétrole, face à un excès d’offre. Déjà, en 2024, le Fonds monétaire international a prévenu des risques encourus par la stratégie fiscale expansionniste du gouvernement transitionnel.

Au mois de juillet le gouvernement a adopté un ambitieux « Plan national de croissance et de développement 2026-2030 », reposant en grande partie sur la transformation secondaire locale des ressources naturelles avant leur exportation, le manganèse notamment. Ali Bongo avait déjà imposé une telle évolution dans le secteur du bois. Mais son application à d’autres secteurs dépendra aussi du développement des infrastructures nécessaires, en particulier celui du réseau électrique. Eramet, grand producteur de manganèse, un minerai stratégique, s’est plié à la nouvelle politique mais d’autres investisseurs pourraient se montrer plus réticents.

La population gabonaise attendant enfin du nouveau régime des changements tangibles au quotidien, le septennat de Brice Clotaire Oligui Nguema, entamé avec tant d’optimisme, devrait compter des années de choix difficiles, où le président légitimé par les urnes aura besoin de toute l’agilité politique qu’il a montrée depuis le 31 août 2023.

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979-10-373-1111-5

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François GAULME

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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Ernst Jan HOGENDOORN
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Le président gabonais Brice Oligui Nguema
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