Dissuasion nucléaire "coordonnée" entre la France et le Royaume-Uni : que va changer cette déclaration inédite sur le recours à l'arme atomique ?
Emmanuel Macron et Keir Starmer ont signé jeudi une déclaration qui évoque pour la première fois la possibilité de recourir de manière "coordonnée" à "la puissance des forces nucléaires des deux nations", dans un contexte de désengagement américain de l'Otan face à la menace de la Russie.

ls renforcent leur alliance militaire. La France et le Royaume-Uni ont acté un rapprochement entre leurs forces armées, notamment sur le plan de la dissuasion nucléaire, jeudi 10 juillet, à l'issue d'un sommet bilatéral à Londres. Le Premier ministre britannique Keir Starmer et Emmanuel Macron ont signé une déclaration "affirmant pour la première fois que les moyens de dissuasion respectifs des deux pays sont indépendants, mais peuvent être coordonnés", selon un communiqué. Une décision "inédite", selon le président français.
Les deux seuls Etats européens à disposer de l'arme atomique assurent ainsi que "tout adversaire menaçant les intérêts vitaux du Royaume-Uni ou de la France pourrait être confronté à la puissance des forces nucléaires des deux nations".
Pour l'amiral Jean-Louis Lozier, conseiller du centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri), il s'agit d'une "avancée majeure" en matière de doctrine nucléaire, "notamment pour la France". "Jusqu'à présent, nous n'avions jamais envisagé de coordonner notre dissuasion avec celles de nos alliés, même si nous partagions les mêmes intérêts", rappelle-t-il.
Un rapprochement "accéléré" par la réélection de Donald Trump
Paris et Londres avaient déjà signé, en 1995, une déclaration conjointe affirmant qu'il n'existait "pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'un (...) pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre le soient aussi". Mais le texte ne comportait aucune mention explicite de la dissuasion nucléaire. Les deux pays sont néanmoins "très proches" dans ce domaine, avec "une instance de consultation qui se réunit plusieurs fois par an et [la signature] du traité de Lancaster House" sur la coopération nucléaire de défense, en 2010, souligne Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri. Ce traité a permis le développement d'expérimentations sur la technologie nucléaire menées conjointement par les deux Etats, détaille Jean-Louis Lozier.
Alors que la guerre en Ukraine fait craindre à plusieurs pays européens d'être visés par une attaque russe, Keir Starmer et Emmanuel Macron entendent aller encore plus loin.
La coordination de la dissuasion "peut permettre aux deux puissances nucléaires européennes de répondre", dans "le cas de figure où les Etats-Unis tarderaient un peu à réagir" à une offensive contre leurs alliés européens, estime Jean-Louis Lozier.
"Le retour de puissances agressives comme la Russie intervient alors que [Washington] va vers plus d'isolationnisme. Dans ces circonstances, un adversaire pourrait douter de la crédibilité de l'Otan, et vouloir attaquer", poursuit Jean-Louis Lozier. Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a en effet laissé planer le doute sur sa volonté de respecter l'article 5 du traité de l'Alliance transatlantique, qui impose aux membres de l'Otan de défendre tout membre visé par une offensive. "Cela fait plusieurs mois, voire des années, que la France et le Royaume-Uni travaillent au renouvellement du traité de Lancaster House", mais le processus a été "accéléré et intensifié par la réélection" du milliardaire républicain à la tête des Etats-Unis, confirme Héloïse Fayet.
Vers des exercices militaires coordonnés ?
"A ma connaissance, il n'y a pas deux pays au monde qui ont une telle intimité sur leur doctrine nucléaire désormais", s'est félicité Emmanuel Macron jeudi, lors d'une conférence de presse à l'issue du sommet. Concrètement, "un groupe de supervision nucléaire" sera créé par Paris et Londres, et coprésidé par l'Elysée et le Cabinet Office britannique. Il sera chargé de "coordonner la coopération croissante dans le domaine de la politique, des capacités et des opérations". Cela pourrait par exemple concerner l'organisation d'exercices militaires, avance Héloïse Fayet.
Du point de vue des capacités nucléaires, la coopération "restera sans doute limitée", juge Jean-Louis Lozier.
"Celles du Royaume-Uni sont très liées aux Etats-Unis : leurs sous-marins sont conçus autour des missiles qu'ils achètent aux américains", détaille l'amiral français. "On ne verra ainsi probablement pas de missile franco-britannique embarqué à bord de nos sous-marins lanceurs d'engins", qui sont, eux, équipés d'ogives développées en France.
Le Royaume-Uni "joue sur les deux tableaux", remarque d'ailleurs Héloïse Fayet. "Début juin, il a annoncé l'acquisition d'avions de combats F-35, capable de transporter des armes nucléaires, auprès des Etats-Unis." Contrairement à la France – dont les missiles peuvent être embarqués par quatre sous-marins, mais aussi par les avions Rafale – la dissuasion britannique n'avait plus de composante aéroportée depuis la fin de la Guerre froide. "Il s'agit pour le Royaume-Uni de diversifier ses alliances, en se rappelant tout de même que la France est plus proche géographiquement", poursuit Héloïse Fayet.
"Pas d'automaticité" du recours commun à l'arme nucléaire
Cette coopération renforcée ne signifie toutefois pas que Paris ou Londres perdront leur souveraineté en matière de dissuasion nucléaire. "L'un comme l'autre, nous restons pleinement souverains et indépendants dans le déclenchement et le pilotage de nos capacités nucléaires", a redit Emmanuel Macron jeudi.
"Le président de la République reste le seul décideur pour la France et le Premier ministre britannique le décideur pour le Royaume-Uni, explicite Jean-Louis Lozier. Il peut y avoir une coordination, mais il n'y a pas d'automaticité [du recours à l'arme atomique], ni de partage."
La possibilité d'agir de manière concertée face à une éventuelle menace étrangère "rendrait la riposte nucléaire encore plus efficace", souligne néanmoins le conseiller de l'Ifri. Avec respectivement 290 et 225 ogives, la France et le Royaume-Uni disposent d'arsenaux bien moins importants que les Etats-Unis ou la Russie.
"Ce qui est important, c'est d'être crédible aux yeux de nos alliés et de nos adversaires, et cela semble être le cas, (...) simplement parce que les dégâts que l'on peut commettre [avec ces têtes nucléaires] sont considérables", rappelle Héloïse Fayet.
"C'est un pas en avant dans la contribution de la France et du Royaume-Uni à la défense de l'Europe."
Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri
à franceinfo
La déclaration conjointe réaffirme ainsi "qu'il n'existe aucune menace extrême sur l'Europe qui ne susciterait une réponse des deux pays", qu'elle repose sur l'usage d'armes conventionnelles ou non. Car le renforcement de l'alliance franco-britannique ne se limite pas au nucléaire. Keir Starmer et Emmanuel Macron ont aussi annoncé, jeudi, une accélération de leur collaboration dans le développement de missiles de croisière et de missiles antinavires.
Ils ont également acté le renforcement d'une force militaire commune qui pourrait être mise à la disposition de l'Otan, et ont assuré avoir "un plan prêt à être mis en œuvre" pour le déploiement en Ukraine de la "coalition des volontaires". Initiée début 2025 par Paris et Londres, elle réunit une trentaine de pays alliés de Kiev, prêts à contribuer au maintien de la paix en cas de cessez-le-feu avec Moscou.
>> Lire l'article sur le site de France info.
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