Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

« Donald Trump fait montre d’un engagement inattendu sur les dossiers internationaux, au grand dam de sa base MAGA »

Interventions médiatiques |

tribune parue dans

  Le Monde 

 
Accroche

Dans une tribune au « Monde », Laurence Nardon, responsable du Programme Amériques de l'Ifri, souligne que la méthode principale du président des États-Unis « reste celle du rapport de force, au mépris du droit international et des alliances établies ». Ce qui se solde par des résultats inégaux.

Image principale médiatique
Donald Trump et Vladimir Poutine au sommet d'Anchorage, le 15 août 2025.
Donald Trump et Vladimir Poutine au sommet d'Anchorage, le 15 août 2025.
© EyePress News/Shutterstock
Table des matières
Table des matières
body

Lors du premier mandat de Donald Trump, entre 2017 et 2021, la communauté internationale avait assisté à la mise en œuvre par les Etats-Unis d’un repli nationaliste. Ce néo-isolationnisme répondait à la colère des classes moyennes américaines, irritées par des années de guerre sans résultat tangible en Afghanistan et en Irak, et avait été appliqué avec une relative constance par le locataire de la Maison Blanche. Mais, depuis sa réélection en novembre 2024, le président américain a déployé deux nouveaux projets différents.

A l’occasion de sa conférence de presse du 7 janvier, en Floride, Donald Trump a d’abord annoncé à des journalistes médusés sa volonté d’agrandir le territoire national. Cette attitude prédatrice, qui renoue avec celle des premiers présidents impérialistes que furent William McKinley [1897-1901] et Theodore Roosevelt [1901-1909], visait d’abord le voisinage immédiat du territoire dirigé par Donald Trump, avec le Canada, le Groenland et le canal de Panama.

Cette démarche a été peu suivie d’effet jusqu’à présent : les négociations du consortium américain mené par [le gestionnaire d’actifs] BlackRock pour racheter la concession des ports de Balboa et Cristobal – situés à chaque extrémité du canal de Panama – à [CK Hutchison] l’entreprise proche de Pékin qui les détient n’ont pas abouti pour l’instant. Mais le président pourrait ranimer ces revendications territoriales en 2026, notamment celle sur le Groenland : les achats de territoire ont été fréquents dans la construction du territoire national, et une proposition en ce sens, assortie de pressions sur le Danemark, n’est pas exclue.

Diplomatie tous azimuts

Enfin et surtout, dès les premiers mois de son second mandat, Trump a fait montre d’un engagement inattendu sur les principaux dossiers internationaux. C’est la troisième « doctrine Trump », celle d’une diplomatie tous azimuts, qui entre en contradiction totale avec ses réticences passées, au grand dam de sa base populiste MAGA (Make America Great Again) représentée au plus haut niveau par le vice-président, J. D. Vance.

Il s’agit de négocier des « deals » : soit des traités commerciaux avec les autres grandes puissances telles que la Chine, soit des accords de paix, principalement sur les guerres en Ukraine et à Gaza, mais aussi sur les « sept ou huit » conflits régionaux que le président affirme avoir résolus ces derniers mois : Serbie-Kosovo, Arménie-Azerbaïdjan, Inde-Pakistan, Rwanda-République démocratique du Congo, Thaïlande-Cambodge, Israël-Iran, Egypte-Ethiopie – le huitième conflit « réglé » selon le président étant le cessez-le-feu signé début octobre entre Israël et le Hamas.

À l’automne, Donald Trump a déployé par ailleurs la flotte américaine dans les Caraïbes pour lutter contre le narcoterrorisme vénézuélien, avant d’évoquer un possible changement de régime à Caracas – les objectifs de regime change étaient pourtant sa bête noire dans les années passées…

Si la méthode est celle du rapport de force, au mépris du droit international et des alliances établies, les résultats sont inégaux. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, comme l’a encore montré la séquence du « plan de paix » en 28 points présenté par l’envoyé spécial Steve Witkoff, l’administration Trump commence toujours par se ranger du côté du président Poutine contre ses alliés de l’OTAN, consternés à juste titre. Les dirigeants des démocraties libérales européennes se livrent ensuite à un travail de rattrapage fébrile, partiellement efficace.

Pour ce qui est de la guerre entre Israël et le Hamas, la proximité idéologique du président Trump avec le premier ministre israélien est nette. Pourtant, elle le rend finalement plus apte qu’un président démocrate à imposer une feuille de route pacifique à Benyamin Nétanyahou. Sur la Chine, enfin, le choix du rapport de force s’est révélé contre-productif. Pékin a tenu bon dans la guerre sur les droits de douane et Trump a fini par accepter, le 1er novembre, un deal peu avantageux pour son pays.

Deals juteux

Ce retournement de la politique étrangère du président obéit à plusieurs logiques. Comme tant de ses prédécesseurs, dont Barack Obama [2009-2017], qui s’était régulièrement dit réticent à intervenir avant de s’y résoudre, peut-être Donald Trump cède-t-il aux appels que le monde lui adresse pour agir ? On peut aussi estimer que le milliardaire ne peut résister à l’hubris de la puissance sur la scène internationale – où sa parole compte indubitablement –, et à l’espoir de constituer sa place dans les livres d’histoire en recevant le prix Nobel de la paix en 2026.

Deux choses sont certaines : d’abord, refuser d’agir le ferait apparaître comme un dirigeant faible, ce qui lui serait insupportable. Ensuite, le président se montre beaucoup plus sûr de lui aujourd’hui pour agir sur la scène internationale qu’entre 2017 et 2021. Comme il l’a expliqué aux journalistes de The Atlantic venus l’interviewer en avril, lors de son premier mandat, le président avait « deux choses à faire – diriger le pays et survivre » face aux multiples procès lancés contre lui. Dans son second mandat, il « dirige le pays et le monde ». Les choses sont claires : Donald Trump a désormais les coudées franches.

Se mêle enfin à cet effort diplomatique une occasion en or, au sens propre comme au sens figuré : celle de faire du business afin d’engranger des deals juteux à titre personnel, dans un mélange des genres entre les intérêts du pays et ceux de sa famille. Ainsi, le projet immobilier à Gaza mis au point entre autres par son gendre, Jared Kushner ; ou les négociations parallèles menées en septembre par Richard Grenell, ambassadeur à Berlin pendant son premier mandat, avec des interlocuteurs vénézuéliens et portant sur les importantes réserves pétrolières du pays.

Reste à voir si le mécontentement inédit des électeurs républicains va freiner l’agitation diplomatique actuelle, alors que se profilent les élections de mi-mandat de 2026. Fin novembre, le taux d’approbation du président n’est plus que de 41 %, contre 55 % de désapprobation. Or, son implication sur les dossiers internationaux n’est pas appréciée par sa base MAGA. Avec l’affaire Epstein et le retour de l’inflation, elle contribue à la désaffection. La Maison Blanche sait qu’un échec du Parti républicain en novembre 2026 affaiblirait le président Trump pour les deux années restantes. Elle pourrait l’inciter à se détourner de sa troisième doctrine pour se consacrer aux problématiques intérieures.

Lire la tribune sur le site du Monde.

Decoration

Média

Nom du journal, revue ou émission
Le Monde

Journaliste(s):

Journaliste
Laurence NARDON

Format

Catégorie journalistique
Article

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Laurence NARDON

Laurence NARDON

Intitulé du poste

Responsable du Programme Amériques de l'Ifri

Crédits image de la page
Donald Trump et Vladimir Poutine au sommet d'Anchorage, le 15 août 2025.
© EyePress News/Shutterstock