« La décision de “ prendre le contrôle ” de la bande de Gaza éclaire la cohérence idéologique du premier ministre israélien »
Souvent présenté comme mû par la seule volonté de se maintenir au pouvoir, Benyamin Nétanyahou porte en réalité un programme politique structuré : la destruction du projet national palestinien au profit d’un « Grand Israël », analyse la chercheuse en relations internationales Amélie Férey dans une tribune au « Monde ».

Vendredi 8 août, le cabinet de sécurité israélien a décidé l’évacuation de la ville de Gaza – soit plus d’un million de personnes ayant déjà subi des déplacements – avec pour objectif d’achever l’opération d’ici au 7 octobre. Le même cabinet a également acté « la prise de contrôle » de la bande de Gaza. C’est ce terme plutôt que celui d’« occupation » qui a été retenu, en raison de son absence d’implications juridiques : un régime d’occupation confère des droits à la population occupée et la protège notamment contre les déplacements forcés.
Cette décision éclaire la cohérence idéologique du premier ministre israélien. Souvent présenté comme mû par la seule volonté de se maintenir au pouvoir pour éviter ses procès, somme toute comme un opportuniste de génie, Benyamin Nétanyahou porte en réalité avec constance un projet politique structuré : la destruction du projet national palestinien au profit d’un « Grand Israël ».
Proche des thèses de Ze’ev Jabotinsky, il a toujours refusé l’idée d’un Etat palestinien. Pour dénoncer les accords d’Oslo, il a participé à de véhémentes manifestations peu avant l’assassinat d’Yitzhak Rabin, et a toujours refusé de rencontrer Mahmoud Abbas. Dans ses écrits comme dans ses discours, il affirme qu’il n’existe pas de Palestiniens, seulement des « Arabes », niant l’existence historique de ce peuple.
Son objectif apparaît désormais avec clarté : rendre Gaza ingouvernable et invivable, vider le territoire de sa population et y établir des colonies juives, réduisant les Palestiniens à une minorité vivant sous domination israélienne. Ainsi, à ceux en doutant encore, rappelons-nous de son conseil proféré en 2015 à propos du programme nucléaire iranien : « If it walks like a duck, then it is a duck. » En l’occurrence, il s’agit bien d’un projet d’annexion et de déplacement forcé des Palestiniens, que ce soit à Gaza ou dans les territoires occupés.
Des conséquences internes en Israël
A Gaza cependant, l’occupation sera encore plus dure qu’en Cisjordanie. Le scénario envisagé est celui d’un contrôle militaire strict, avec des zones interdites aux Palestiniens, un triage de la population par check-points, aidé par intelligence artificielle et un encouragement au départ. Un rapport du Boston Consulting Group évoque même la possibilité de transférer 25 % des Gazaouis vers l’Ethiopie ou la Somalie. Au niveau gouvernemental, la mise en œuvre de cette politique de « départ » a déjà été créée.
Certes, Gaza a déjà été occupée par le passé. Rappelons également qu’Ariel Sharon répondait aux critiques de sa décision de désengagement de l’enclave prise il y a vingt ans en expliquant que cela donnerait aussi la légitimité à Israël d’attaquer militairement ce territoire.
Avec une égale constance, l’échelon militaire s’est opposé à une réoccupation de Gaza, échaudé par l’expérience de la Cisjordanie. Le chef d’état-major actuel, pourtant placé par Benyamin Nétanyahou, estime – à raison – que cela fixera l’armée dans une mission de contre-insurrection et la forcera à agir contre le Hamas, mais aussi contre des civils, au détriment de la préparation face à des menaces étatiques comme l’Iran.
La mobilisation prolongée des réservistes, déjà réticents, va probablement accroître les tensions, et ce d’autant que les religieux sont toujours exclus de la conscription. Le taux de suicide au sein des forces armées est en hausse, signe d’un malaise profond, alors même qu’on sait l’attachement des Israéliens pour leur armée. Chez les civils, les manifestations se multiplient ; une grève générale a été appelée par les familles des otages, choquées par la diffusion par le Hamas d’une vidéo montrant l’un d’eux, affamé, contraint de creuser sa propre tombe.
En France, les leviers diplomatiques restent limités – pour jouer à plein, l’échelon européen et surtout la voix américaine sont incontournables. Pour autant, force est de reconnaître que la reconnaissance officielle d’un Etat palestinien par les pays occidentaux, comme la France, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni compliquerait la mise en œuvre du projet de Nétanyahou de négation pure et simple de la Palestine. Quant aux leviers militaires, sous la bannière de la « responsabilité de protéger », ils sont exclus.
Reste le flot d’images venant de Gaza, ouvrant une glaçante fenêtre sur les déplacements incessants, les bombardements répétés, la famine, la destruction de toute vie possible. On ne trouve plus de mots assez forts pour exprimer l’horreur de ce qui s’y passe, au vu et au su de la communauté internationale. Combien de temps encore laissera-t-on les Gazaouis agoniser ?
Amélie Férey est chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales, elle est responsable du Laboratoire de recherche sur la défense
>Lire la tribune sur le site du Monde.
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