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Les Européens face à la « question russe »

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Fin octobre 2025, le Kremlin a annoncé les tests du Bourevestnik, missile à propulsion nucléaire, et du Poséidon, torpille lourde autonome thermonucléaire. Comme à chaque fois, ils ont fait l’objet d’une intense couverture médiatique dans les pays occidentaux. De manière plus inattendue, Donald Trump a répondu en ordonnant la reprise des essais américains.

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Depuis 2018, la Russie poursuit le développement de ce que l’on appelle les « armes du Manège », une nouvelle génération d’armements stratégiques destinés à annihiler toute velléité de résistance chez un potentiel ennemi. Parallèlement, les dirigeants russes manient une rhétorique nucléaire qui les conduit à rappeler qu’ils conservent le pouvoir de détruire tous les pays du monde. Pour eux, parler le langage du nucléaire reste le plus sûr moyen de rester au niveau des États-Unis, alors que la Chine produit un effort dans ce domaine. Les Européens ne seraient que des vassaux ayant renoncé à assurer leur sécurité par eux-mêmes.

Ces annonces s’inscrivent dans un plan d’ensemble au moment où la Russie se trouve enlisée militairement en Ukraine. Il s’agit pour elle de créer un sentiment de peur dans les opinions européennes et d’inhiber les soutiens de l’Ukraine. Elles interviennent dans un moment de flottement : les ouvertures de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine, en août et en octobre 2025, n’ont pas été saisies par le Président russe ; les Européens s’organisent pour continuer à soutenir l’Ukraine, qui résiste toujours.

Le parallèle est souvent fait avec la crise des euromissiles au début des années 1980 que François Mitterrand avait résumée d’une formule restée célèbre lors d’un discours au Bundestag : « Les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est. » Formule qui répondait à celle des mouvements pacifistes : « Plutôt rouges que morts ! » Formule qui traduisait surtout la volonté de maintenir un dialogue stratégique avec l’URSS en se montrant dissuasif, c’est-à-dire en indiquant des limites aux ambitions soviétiques. Il existe deux différences majeures entre 1983 et 2025. La première tient aux incertitudes nées du comportement de Trump et de sa manière de traiter les questions stratégiques. Le président des États-Unis ne lit pas et préfère parler plutôt qu’écouter ses conseillers. En d’autres termes, il ne maîtrise probablement pas la grammaire nucléaire comme les autres chefs d’État de pays dotés. C’est évidemment un avantage que Poutine ne cesse d’exploiter. La seconde tient à la situation militaire des forces russes en Ukraine. L’« opération militaire spéciale » lancée en février 2022 s’est transformée en guerre d’attrition. La Russie a conquis un cinquième du territoire ukrainien au prix de pertes considérables et en infligeant aux Ukrainiens des dommages irréparables. Ces derniers résistent et parviennent à conduire des opérations audacieuses contre des bases ou des raffineries. Autrement dit, une puissance nucléaire comme la Russie est régulièrement touchée sur son propre sol.

Pour les Européens, la « question russe » est ancienne et future à la fois. Ils ne peuvent plus l’éluder mais doivent en reformuler les termes de manière lucide car la Russie, à leur différence, est en guerre. Cette différence s’avère fondamentale au regard des pertes russes et du potentiel européen. La guerre pour l’heure les épargne alors qu’elle est consubstantielle au régime de Poutine. Habitués à l’état de paix depuis plusieurs décennies, les Européens sont confrontés à une résurgence de l’impérialisme russe dont l’Ukraine sert de victime expiatoire. C’est elle qui fait face à une menace existentielle et se bat pour son intégrité.

À travers elle, le régime russe impose une confrontation appelée à durer quelle que soit l’issue des combats sur le terrain. Si Poutine s’y est préparé de longue date, ce n’est pas le cas des dirigeants européens souvent contraints à réagir. La Russie conserve l’initiative pendant que les Européens maintiennent leur unité. Très différemment, ils allouent des ressources à un conflit qui les marginalise. Et pourtant, ils ne peuvent s’en détourner tant ses conséquences à court, moyen et long termes orienteront la trajectoire du continent, d’une part, et les rapports de force en son sein, de l’autre. Ce sont bien les rapports de force, plutôt que les rapports de droit, que la Russie nous oblige à analyser. Ce travail est lancé1.

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1 Thomas Gomart (dir.), « Europe – Russie, Évaluation des rapports de force », Études de l’Ifri, Institut français des relations internationales, novembre 2025.

>Lire la chronique sur le site de la revue Études

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