« Un vote de contestation, mais aussi d’adhésion » : comment l’AfD a percé en Allemagne
En tête dans le Thuringe et juste derrière les chrétiens-démocrates (CDU) dans la Saxe, le parti d’extrême droite allemand a remporté pour la première fois un scrutin régional ce dimanche.
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« Même si la situation économique et sociale s’est largement améliorée, une grande partie de la population de l’ex-RDA craint encore un déplacement social », explique Jeanette Süẞ. « Avec les nombreux départs, notamment des diplômés qui partent dans les grandes villes, la population vit un peu en vase clos, elle se sent isolée. Ils ont l’impression d’être des citoyens de seconde zone, d’être moins bien traités qu’à l’ouest de l’Allemagne », ajoute de son côté Paul Maurice.
Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri
Des scores « historiques » qui infligent un nouveau camouflet à la fragile coalition d’Olaf Scholz, à tout juste un an des élections législatives. L’AfD (Alternative pour l’Allemagne), parti anti-migrants, climatosceptique, eurosceptique et prorusse, est devenu la première force politique en Thuringe ce dimanche, avec plus de 32 % des voix lors des élections régionales. Dans le Land voisin de la Saxe, situé lui aussi en ex-RDA, le parti d’extrême droite talonne les conservateurs de la CDU (31,9 %), avec 30,8 % des suffrages.
Si tous les partis ont déjà refusé de s’allier en Thuringe avec l’AfD, emmené par Björn Höcke, l’une de ses figures les plus radicales, le parti disposera d’une minorité de blocage dans la région, lui permettant notamment d’empêcher la nomination de juges. Dans la Saxe, la CDU a elle aussi exclu toute alliance avec l’extrême droite, mais aura du mal à trouver une majorité au parlement régional.
« Un vote d’adhésion »
> > Ces résultats « ne sont pas une surprise », estime Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Selon le spécialiste, ils étaient même largement attendus : « On tablait sur des scores autour de 30 % dans ces deux Länder », explique-t-il, rappelant que lors du scrutin de 2019, le parti avait approché les 25 % en Thuringe et les avait déjà dépassés en Saxe.
Les scores de l’AfD dans ces deux régions de l’ex-Allemagne de l’Est, où elle s’est enracinée ces dix dernières années, constituent un nouveau revers pour les trois partis de la coalition au pouvoir, sociaux-démocrates, verts et libéraux, avant les législatives de septembre 2025. En juin dernier, l’AfD avait déjà obtenu le meilleur score de son histoire aux européennes, avec 16 % des voix.
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La question migratoire au cœur du parti
> > Créé en 2013 « par des économistes plutôt libéraux », explique Paul Maurice, l’AfD, essentiellement eurosceptique, s’est structuré autour de la question migratoire après la crise de 2015, la pandémie de Covid-19, puis la guerre en Ukraine qui a affaibli la première économie européenne, accélérant l’inflation.
Un score qui s’aligne aussi avec « la percée de l’extrême droite un peu partout en Europe », décrypte Jeanette Süẞ. « Leurs thèmes séduisent une partie de l’électorat, comme la question migratoire, l’identité ou encore la sécurité », poursuit la chercheuse, estimant que les exemples de l’Autriche ou de l’Italie, ont « normalisé une extrême droite au pouvoir ».
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L’ex-RDA, un terrain fertile pour l’AfD
D’autant que pour l’extrême droite, l’ex-RDA est un terrain fertile. En 1932, la Thuringe avait été le premier Länder à porter le nazisme au pouvoir. Et, depuis la réunification de 1990, le territoire est marqué par des inégalités persistantes et une profonde crise démographique.
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« Avec cette percée, l’AfD prend en tenaille les autres partis, qui vont avoir du mal à former des coalitions stables », considère Jeanette Süẞ.
Malgré ces résultats régionaux, que Paul Maurice appelle à « nuancer », l’AfD « n’a aucune chance d’arriver majoritaire au Bundestag en 2025 ».
>> Cet article est publié sur le site "Le Parisien" (accès réservé aux abonnés).
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Pour Jeanette Süẞ, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, l’exécutif paie le mécontentement d’une partie de l’opinion publique, « déçue par la coalition tricolore », qui peine à s’accorder. Mais à l’inverse de 2019, il ne s’agit plus seulement d’un vote de protestation. « En Thuringe, 51 % des électeurs qui ont voté pour l’AfD l’ont fait par conviction ; en Saxe, ils sont 50 %. C’est à la fois un vote d’adhésion et de contestation », analyse-t-elle.
Chercheuse, Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri
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