« Imaginer au-delà de l’imaginaire ». Red teaming et serious games au service de l’anticipation et de la prospective Briefings de l’Ifri, Ifri, 30 mars 2023

En septembre 2022, le New York Times révélait que l’offensive réussie des Ukrainiens sur Kharkiv avait été préparée par une série de wargames menés à l’été. Devant ce succès, les mises en situation sous forme de jeu ont été renouvelées, dans l’optique d’une possible contre-offensive ukrainienne au printemps. L’engouement que suscite cette pratique aux nombreuses variantes s’explique par sa capacité à immerger les participants dans une situation pour prendre conscience d’impensés stratégiques et tactiques et pour identifier leurs propres vulnérabilités en se mettant à la place de l’ennemi. Anticiper les crises et prévoir les guerres sont ainsi des enjeux centraux pour qui veut conserver l’initiative et emporter la décision. Dans cette optique, la prospective de défense vise à analyser la guerre de demain dans ses différentes formes (asymétrique, hybride, haute intensité) ; dans ses systèmes d’armes (drones, missiles hypervéloces), et dans ses facteurs déclencheurs.

 

Cette nécessité de l’anticipation et de la prospective, par le biais de wargames ou d’analyses sous forme de scénarios, s’accompagne d’une évolution dans les rapports que la société civile entretient avec les responsables politiques et militaires, auxquels elle n’hésite pas à demander des comptes lorsqu’ils n’ont pas su prévoir une crise. Le sociologue allemand Ulrich Beck désignait ainsi une situation paradoxale entre une société avide de prévision à cause d’une aversion au risque, et une plus grande difficulté à analyser ce qui pourrait se produire à court terme du fait du développement très rapide des technologies. La modernité est porteuse de progrès autant qu’elle génère des risques. Dans ce contexte, l’incapacité à prévoir des ruptures stratégiques revêt un coût politique important, ce qui explique les attentes élevées des responsables politiques vis-à-vis des travaux d’anticipation et de prospective.

 

Dans le cadre des initiatives impulsées dès 2017 par Florence Parly, la ministre des Armées a cherché à expérimenter de nouveaux outils cognitifs. Au-delà de la technologie, l’ambition était de repenser le management de l’information au sein du ministère dans le but d’injecter plus d’agilité et de transversalité. En plus d’un effort budgétaire non négligeable dédié à l’innovation dans la Loi de programmation militaire 2019-2025, Balard s’est inspiré de méthodes souvent issues d’autres cultures organisationnelles (start-ups, secteur privé), afin d’améliorer la créativité du ministère des Armées (MinArm) et de renforcer son appropriation du numérique.