17
juil
2013
Éditoriaux de l'Ifri Chroniques américaines
Frederick T. DAVIS

La Cour suprême et le "Mariage pour tous" Chroniques américaines, juillet 2013

Le 26 juin 2013, la Cour Suprême des Etats Unis a rendu deux arrêts sur la question du " mariage pour tous ". Ces deux décisions importantes ont eu un effet immédiat et concret aux Etats-Unis et leur portée est amenée à s’étendre aux débats politiques, juridiques et sociétaux qui vont se poursuivre autour de cette question. Par ailleurs, elles s’inscrivent dans le contexte constitutionnel particulier de la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les Etats fédérés.

La Cour suprême et le "Mariage pour tous"

Pour en saisir les nuances et les implications, il convient de commencer par revenir sur la structure du pouvoir politique américain, ainsi que sur le rôle de l’Etat fédéral dans les relations matrimoniales.

Les Etats-Unis d’Amérique constituent une fédération de cinquante Etats (auxquels s’ajoute le District of Columbia où se trouve la capitale du pays ainsi que des territoires tels que Puerto Rico, dont les habitants sont citoyens des Etats-Unis mais d’aucun Etat fédéré). La Constitution des Etats-Unis, adoptée en 1789, répartit les pouvoirs politiques entre les différents Etats fédérés d’une part et le gouvernement fédéral d’autre part.

Ainsi, les pouvoirs fédéraux sont strictement délimités dans la Constitution. Le dixième amendement à la Constitution, adopté presqu’en même temps que la Constitution afin d’encourager les Etats à rejoindre la fédération, confirme que tout pouvoir politique qui n’est pas spécifiquement délégué au gouvernement fédéral appartient aux Etats fédérés.

Depuis la création des Etats-Unis sous leur forme républicaine, toutes les questions concernant les relations familiales, telles que le mariage ou l’adoption, ont été considérées comme relevant par essence des Etats fédérés et non du gouvernement fédéral. Chaque Etat fédéré était donc libre d’adopter ses propres procédures et d’instituer ses propres conditions de validité du mariage. Il en est ainsi par exemple de l’âge minimum à partir duquel une personne peut se marier, qui varie d’un Etat fédéré à l’autre.

Cependant, cette répartition des pouvoirs n’a jamais été stricte, pour deux raisons. Premièrement, le gouvernement fédéral entre nécessairement dans des domaines touchant aux relations familiales. Par exemple, l’état civil d’une personne est déterminant de nombreuses questions fiscales, dans la mesure où le régime fiscal d’une personne diffère selon qu’elle est mariée ou célibataire. De même, dans le domaine de l’immigration, une personne étrangère mariée à un citoyen américain peut bénéficier de procédures de nationalisation plus rapides qu’une personne qui n’est pas mariée à un citoyen américain.

Deuxièmement, les Etats fédérés doivent se soumettre à la Constitution fédérale, et notamment aux règles protectrices des libertés individuelles qu’elle garantit, y compris dans les domaines dans lesquels ces Etats fédérés sont souverains.

Ainsi, jusque dans les années 1960, un certain nombre d’Etats fédérés interdisaient le mariage de deux personnes de races différentes. Dans un arrêt de 1967 - connu, par coïncidence, sous le nom heureux de " Loving v. Virginia " - la Cour Suprême a décidé que cette interdiction n’était pas compatible avec la garantie pour tout citoyen de bénéficier de la même protection légale que les autres (" equal protection of the laws ") prévue au quatorzième amendement de la Constitution, adopté en 1868 au lendemain la Guerre de Sécession.

Jusqu’à récemment, aucun Etat fédéré n’avait autorisé le mariage de deux personnes de même sexe. Dans les années 1990, des discussions sur ce thème ont commencé à se développer, dans le contexte d’un débat plus large sur les " Gay Rights ", c’est-à-dire sur le droit des personnes homosexuelles à bénéficier des mêmes droits civiques que toute autre personne. En réaction à ce mouvement, le Congrès des Etats-Unis a adopté en 1996, presque sans débat public et face à une opposition très limitée, la loi " Defense of Marriage Act ", dite DOMA (la loi pour la défense du mariage), qui a été rapidement signée par le Président Bill Clinton. En vertu de cette loi, un " mariage " ne peut être reconnu, pour l’application d’une loi fédérale, qu’entre un homme et une femme. Bien que la définition du mariage relève traditionnellement de la compétence des Etats fédérés, ce terme figure dans plus d’un millier de lois fédérales (dans les domaines du droit fiscal, du droit des successions, de l’immigration ou d’autres régimes fédéraux), ainsi que sur l’état civil (le fait d’être marié ou célibataire). Une illustration en est qu’en application de la loi DOMA, deux personnes de même sexe ne pouvaient pas bénéficier du régime fiscal favorable applicable aux personnes " mariées ", même si leur mariage était reconnu dans l’Etat fédéré dans lequel il avait été prononcé.

Depuis les années 2000, quatorze Etats fédérés ont voté la légalisation d’un mariage entre deux personnes de même sexe - soit par la voie législative, soit par le biais d’un référendum populaire - et plusieurs autres Etats fédérés devraient également le faire cette année.

Ces initiatives ont été prises dans le contexte d’un changement de mentalités assez étonnant par sa rapidité. D’après de nombreux sondages, la majorité des Américains est désormais favorable au mariage entre deux personnes de même sexe. Un tournant historique s’est opéré en 2012, lorsque le Président Obama, qui était auparavant personnellement réticent sur cette question, s’est clairement exprimé en faveur du mariage homosexuel.

Cela dit, l’analyse de la répartition des Etats fédérés qui ont adopté ou non le mariage homosexuel montre qu’à peu d’exceptions près, les Etats fédérés l’ayant adopté sont généralement les " Etats bleus ", c’est-à-dire les Etats majoritairement démocrates, qui se situent dans le nord du pays ou sur ses côtes et qui ont en général voté pour le Président Obama en 2008 et en 2012. La question du mariage homosexuel divise en effet les deux principaux partis politiques : la position officielle du parti démocrate s’affirme en faveur des droits des personnes homosexuelles, y compris le droit au mariage, tandis que le parti républicain y est généralement opposé.

Bien que les deux affaires de la Cour Suprême portent sur le même thème, leurs sources et leurs enjeux juridiques étaient très différents. En effet, l’une de ces décisions portait sur la constitutionalité de la loi DOMA et sur les limites du pouvoir fédéral, tandis que l’autre portait sur le pouvoir d’un Etat fédéré d’interdire le mariage entre personnes homosexuelles.

L’affaire " Windsor " et la loi DOMA

La première décision rendue le 26 juin l’a été dans l’affaire " Windsor, " où la question principale portait sur la constitutionnalité de la loi DOMA. Madame Windsor, une redoutable new-yorkaise de 86 ans, avait épousé une autre femme au Canada en 2007 et ce mariage était formellement reconnu par le droit de l’Etat de New York. En 2010, suite au décès de son épouse, le Trésor fédéral américain lui a réclamé plus de 350.000 dollars de droits de succession. Or les impôts fédéraux n’ont pas vocation à s’appliquer au conjoint survivant qui bénéficie du statut de " marié " sous le régime fédéral. Madame Windsor, soumise à cet impôt du fait de la loi DOMA, bien que valablement " mariée " sous le régime matrimonial new-yorkais, a déposé une plainte contre le Trésor américain, arguant que ce dernier ne pouvait opérer de discrimination entre un " couple traditionnel " et un " couple homosexuel ". Etant donné que la position du Trésor était imposée par la loi DOMA, la demande de Mme Windsor revenait à poser la question de la constitutionnalité de cette loi.

Devant le tribunal de première instance, le Gouvernement fédéral s’est opposé à la demande de Mme Windsor en arguant que la " protection du mariage " et les traditions liées à cette institution permettaient au législateur fédéral de distinguer entre un mariage traditionnel et un mariage homosexuel. Cette position a été rejetée par le juge, qui a considéré que la " equal protection clause " formalisée par le quatorzième amendement de la Constitution ne permettait pas la création de deux " classes " de citoyens - une classe d"" hétérosexuels " ayant le droit de se marier avec la personne de leur choix, et une autre classe de membres pour lesquels le même choix entraînait un coût considérable.

Devant la Cour d’appel fédérale (United States Court of Appeals for the Second Circuit) le Procureur d’Etat (Attorney General) a modifié sa position. Tout en continuant à refuser la déduction fiscale réclamée par Mme Windsor en raison des contraintes de la loi DOMA et en s’alignant sur la récente prise de position du Président Obama, le gouvernement concédait formellement que cette loi était discriminatoire, et donc n’était pas constitutionnelle sur le fondement de la " equal protection clause " de la Constitution fédérale.

Cette position posait deux problèmes procéduraux importants. A titre principal, il s’agissait de déterminer le rôle du pouvoir exécutif - et donc du Président - dans la décision de conformité ou non d’une loi à la Constitution. Mais, à titre préalable, il fallait trancher la compétence du tribunal fédéral sur cette question en l’absence de différend entre les parties.

Selon une jurisprudence américaine constante, les tribunaux fédéraux ne sont pas compétents pour considérer a priori  la constitutionnalité d’une loi. En vertu de l’article III de la Constitution fédérale, les tribunaux fédéraux ne tranchent que des " cases and controversies " (des différends réels) entre deux parties. En l’occurrence, la partie demanderesse (Mme Windsor) et la partie défenderesse (le gouvernement) étaient d’accord sur le principe de fond, bien que ce dernier refusât de dédommager Mme Windsor avant que l’invalidité de la loi DOMA soit prononcée.

Il existait alors un risque que la Cour d’appel se déclare incompétente pour trancher cette question, qui n’était pourtant pas dénuée d’importance. Or, un certain nombre de membres du Congrès américain qui avaient voté en faveur de la loi DOMA se sont constitués en un groupement dénommé " BLAG " (the Bipartisan Legal Advisory Group) et ce groupement a demandé au tribunal le droit d’être entendu en tant que partie opposée à Mme Windsor et au gouvernement.

Les juges de la Cour d’appel ont conclu que le point de vue adverse à celui de Mme Windsor était effectivement représenté par le BLAG et que le différend - consistant dans l’éventuelle obligation de remboursement de Mme Windsor par le Trésor - existait, donc que la question n’était pas abstraite. Les juges ont donc écarté la question de procédure et ont confirmé la décision de première instance.

Cette question de procédure s’est posée de nouveau au niveau de la Cour Suprême, et un certain nombre de " amici curiae " (qui sont des " amis de la Cour " privés, lesquels obtiennent la permission de déposer un mémoire présentant leur point de vue) ont avancé que le BLAG n’avait pas d’intérêt d’agir et qu’en conséquence la Cour Suprême ne pouvait se prononcer sur le fond du jugement rendu en première instance.

L’opinion principale dans l’affaire Windsor a été rédigée par le juge Anthony Kennedy. Le juge Kennedy est l’un des cinq membres (parmi les neuf) de la Cour Suprême à avoir été nommés par des présidents républicains, mais son vote est pourtant fluctuant. Dans certains domaines, ce juge vote dans le même sens que les quatre autres membres " conservateurs " de la Cour Suprême, comme cela avait été le cas deux jours plus tôt lorsqu’il s’était joint à eux dans une décision qui a limité strictement les pouvoirs du Congrès d’imposer des procédures protégeant les droits des électeurs minoritaires contre des mesures discriminatoires. Mais dans le domaine des valeurs sociales, y compris pour ce qui est du droit à l’avortement et des relations homosexuelles, le juge Kennedy s’est révélé moins radicalement conservateur que ses quatre homologues. Ainsi, dans la décision Lawrence de 2003, il avait rendu une opinion importante qui, pour la première fois, a interdit aux Etats fédérés d’incriminer les relations sexuelles entre deux personnes de même sexe, en indiquant dans le texte de cette décision que, bien qu’une telle prohibition avait été longuement reconnue dans les traditions, les mœurs avaient changé.

Dans la première partie de son opinion dans l’affaire Windsor, le juge Kennedy traite de la question de l’intérêt à agir et donc de la question de la compétence de la Cour Suprême pour trancher le sujet au fond. De son point de vue, il y avait bien un " différend " réel entre le gouvernement fédéral et Madame Windsor, dans la mesure où s’il était donné raison à cette dernière sur le fond, elle aurait bénéficié d’un régime fiscal favorable et aurait évité le paiement d’une somme considérable. Le juge Kennedy considérait également que le BLAG avait un intérêt légitime, opposé à celui de Madame Windsor. Cette opinion sur les points de procédure était, dans le contexte de cette affaire, peu surprenante.

Plus surprenante a été sa décision sur le fond. Le juge Kennedy, ainsi que quatre autres juges (tous nommés par des présidents démocrates), ont décidé que la loi DOMA était inconstitutionnelle et devait donc être invalidée. Le raisonnement du juge Kennedy est particulièrement surprenant et important à long terme. Il aurait pu trancher la question de la constitutionnalité de la loi DOMA uniquement sous l’angle du fédéralisme strict, en décidant par exemple que toute question de la validité d’un mariage entre deux personnes de même sexe relevait de la compétence exclusive des Etats fédérés, et non de celle de l’Etat fédéral. Si un tel raisonnement avait été adopté, le gouvernement fédéral aurait été contraint de respecter un mariage homosexuel venant d’un Etat fédéré l’ayant autorisé ou reconnu, mais les autres Etats fédérés auraient été assurés de leur liberté de l’interdire.

Cependant, et bien que le jugement puisse être lu strictement, le raisonnement du juge Kennedy a une portée bien plus large. Certes, il rappelle la compétence des Etats fédérés quant aux questions matrimoniales, mais il fait également de nombreuses références aux droits personnels de l’individu protégés par la Constitution et qui pourraient donc être opposés au pouvoir des Etats fédérés. Il évoque dans un style presque poétique l’espoir des couples homosexuels de pouvoir jouir de la même " dignité " que les couples hétérosexuels mariés. Il parle de l’intérêt des enfants qui ont été adoptés par des couples homosexuels de bénéficier des mêmes droits que les autres enfants, et d’être protégés contre " l’humiliation " et " le traitement dégradant " provenant d’une relation non-reconnue par l’Etat.

Certes, cette décision était pourtant ambigüe dans une certaine mesure. Stricto sensu, la Cour n’a tranché que la question des limites du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de mariage homosexuel, mais le raisonnement sous-jacent s’est révélé beaucoup plus proche qu’attendu des intérêts des couples homosexuels dont les principes peuvent également s’opposer au pouvoir d’un Etat.

Les quatre autres juges nommés par des présidents républicains ont ajouté des opinions dissidentes. De façon générale, ils ont affirmé que le mariage entre deux personnes de même sexe n’était pas reconnu dans la période de rédaction de la Constitution, et qu’en conséquence la Constitution fédérale ne pouvait s’appliquer en l’espèce.

L’Affaire Hollingsworth et le Pouvoir des Etats fédérés

Alors que la décision Windsor contraint désormais le gouvernement fédéral à respecter tous les mariages " légaux ", le cas échéant homosexuels, reconnus par un Etat fédéré, l’affaire Hollingsworth portait sur les limites éventuelles du pouvoir d’un Etat fédéré d’interdire le mariage homosexuel - ce qui reste toujours le cas avec la majorité des Etats. Si l’enjeu potentiel était plus important, son résultat était moins tranché.

Cette affaire a sa source dans l’histoire législative de l’Etat de la Californie. Le 4 novembre 2008, le parlement a voté une loi qui permettait un mariage entre deux personnes de même sexe. Peu après, et suite à une campagne virulente, les électeurs ont voté d’extrême justesse un amendement à la Constitution de l’Etat de Californie interdisant le mariage homosexuel. Après l’adoption de cet amendement, deux hommes qui souhaitaient se marier ont déposé plainte devant le Tribunal fédéral à San Francisco, arguant que l’interdiction du mariage aux couples homosexuels leur déniait l’" equal protection " garantie par la Constitution fédérale. Après avoir écouté leur plaidoirie et celle de plusieurs personnes qui défendaient l’interdiction du mariage homosexuel, et après avoir consulté des statistiques et d’autres preuves quant aux effets d’un " mariage pour tous " sur la population et notamment sur les enfants adoptés, le juge de première instance a décidé que l’amendement de la Constitution californienne était inconstitutionnel sur le fondement du quatorzième amendement à la Constitution fédérale et l’a donc invalidé.

De façon quelque peu semblable à la situation de l’affaire Windsor, une question de procédure s"est posée quant à la position prise par le pouvoir exécutif.

Le gouverneur de l’Etat de Californie, Jerry Brown, a annoncé qu’en accord avec les gouvernements locaux, il refusait de faire appel. De la même manière que dans la décision Windsor, un groupement non-officiel s’est formé, composé d’électeurs (et non d’élus, cette fois-ci) en faveur de l’amendement de la constitution étatique et qui exprimait un point de vue opposé à celui de la partie demanderesse. C’est ce groupement, et non les représentants du gouvernement qui étaient parties en première instance, qui a fait appel.

La question qui se posait à la Cour d’appel fédérale en Californie (" United States Court of Appeals for the Ninth Circuit ") était donc de déterminer si, d’un point de vue procédural, un appel formé par un tiers à un litige était recevable et pouvait entraîner sa compétence au fond. Après avoir obtenu un avis de la Cour Suprême de l’Etat de Californie qui indiquait que ces personnes, bien que privées, avaient un intérêt à la solution de l’affaire et qu’un réel différend persistait donc devant la Cour d’appel même en l’absence d’opposition de l’Etat, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le fond du litige et a confirmé la décision de première instance, rejetant la validité de l’amendement de la Constitution étatique.

L’affaire Hollingsworth offrait ainsi à la Cour Suprême des Etats-Unis de nombreuses possibilités.

D’une part, les neuf juges pouvaient arrêter leurs discussions à la question de pure procédure, en décidant notamment que l’une des parties n’avait pas d’intérêt à agir suffisant pour justifier la compétence des tribunaux fédéraux. D’autre part, les juges pouvaient trancher la question au fond, et notamment rendre une décision sur la constitutionnalité de toute tentative d’un Etat fédéré d’interdire le mariage homosexuel. Cette possibilité était souvent mentionnée sous l’expression " fifty-state solution ", c’est-à-dire une solution applicable aux cinquante Etats fédérés, qui pourrait déterminer une fois pour toutes qu’aucun Etat fédéré n’a le pouvoir d’interdire un mariage entre deux personnes de même sexe.

Dans cette décision, rendue le même jour que la décision Windsor, la Cour a limité sa décision à la seule question de procédure, et ne s’est pas prononcée sur le fond. Une majorité " mixte " des neuf juges – c’est-à-dire, sans stricte démarcation entre les juges nommés par les démocrates et les juges nommés par les républicains - a considéré que, compte tenu du refus de l’Etat de faire appel, et en l’absence de tout texte législatif contesté, il n’y avait pas de différend réel devant la Cour d’appel et qu’en conséquence elle n’était pas compétente pour statuer sur cette affaire.

Ainsi, le fond du jugement de première instance n’a pas été réexaminé. C’est donc en vertu d’une simple décision d’un unique juge fédéral en Californie que le mariage homosexuel est désormais autorisé dans cet Etat. Mais pour le moment, aucune décision ou jurisprudence ne s’étend aux autres Etats.

Et maintenant ?

Si la décision Windsor sur les limites du pouvoir fédéral et l’invalidité de la loi DOMA est décisive et finale, elle reste néanmoins limitée.

Le gouvernement fédéral est maintenant contraint de respecter tous les " mariages légaux ", y compris un mariage homosexuel venant d’un Etat fédéré dans lequel un tel mariage est (ou sera) autorisé ou reconnu. Mais pour les personnes résidant dans un Etat où le mariage homosexuel n’a pas encore été adopté, cette décision est sans impact. Etant donné que les avantages (fiscaux et autres) d’un état civil " marié " sont souvent importants, on peut légitimement anticiper que des personnes de même sexe qui voudront en bénéficier se déplaceront dans les Etats fédérés dans lesquels ce mariage est autorisé.

Quel est donc l’avenir du mariage homosexuel dans les Etats qui vont continuer à le refuser ? Plus précisément, quel serait le résultat d’une affaire semblable à celle de Monsieur Hollingsworth, dans laquelle une partie s’opposant au point de vue d’une partie demanderesse aurait un intérêt à agir suffisant pour justifier la compétence des Cours d’appel et finalement de la Cour Suprême ?

Si les neuf membres de cette Cour ne sont pas renouvelés dans l’intervalle, la réponse dépend probablement d’une question assez simple : comment va se prononcer le juge Kennedy sur cette question de fond ? Si l’on n’est jamais à l’abri d’une surprise, il est plutôt raisonnable de supposer que les quatre juges nommés par les démocrates affirmeront qu’aucun Etat fédéré n’a le droit d’interdire à un couple de même sexe de se marier. Après lecture et relecture de l’opinion Windsor du juge Kennedy dans toutes ses nuances, on peut penser qu’il se ralliera à ces quatre autres juges et donc que la Cour finira par invalider toute interdiction du mariage homosexuel. La teneur quasi-personnelle et presque lyrique de son opinion rend difficile de concevoir qu’il puisse dire qu’un Etat peut exclure un couple homosexuel de la " dignité " du mariage et leur faire subir la " situation dégradante " qu’il décrit de manière émouvante dans son opinion.

Il reste, bien sûr, un risque que les membres de la Cour Suprême soient renouvelés et qu’après l’élection d’un président républicain en 2016 une majorité différente puisse trancher différemment.

Des leçons plus générales

Ces affaires confirment tout d’abord que les Etats-Unis constituent une réelle fédération, et que les principes applicables au gouvernement fédéral peuvent être différents de ceux qui sont applicables aux Etats fédérés. En effet, dans le contexte du mariage homosexuel, les possibilités d’un conflit entre ces deux pouvoirs apparaissent clairement.

On constate ensuite que les questions de procédure sont souvent déterminantes dans la jurisprudence américaine. L’absence d’une décision définitive applicable aux cinquante Etats dans l’affaire Hollingsworth et le fait que le sort du mariage homosexuel dans le plus grand Etat de la fédération ait été décidé par un juge unique sans réexamen par une Cour d’appel, le montre bien.

Enfin, on assiste à un changement d’atmosphère étonnant sur l’une des questions les plus sensibles de notre époque, y compris au sein de la Cour Suprême. Les décisions du 26 juin 2013 auraient encore été inconcevables il y a peu de temps. Bien que la Cour Suprême ait agi d’après les principes fondamentaux d’une Constitution adoptée au 18ème siècle (et amendée au 19ème), il est évident que la majorité a suivi les changements de mœurs et de l’opinion publique et s’est montrée capable d’appliquer ces principes dans un contexte moderne.

Frederick T. Davis est avocat aux barreaux de Paris et New York, Of Counsel chez Debevoise & Plimton LLP.

 

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Cour suprême Mariage gay Société Etats-Unis