19
mai
2009
Éditoriaux de l'Ifri Lettre du Centre Asie
Gilles BOQUERAT

Inde : La spectaculaire reconduction du parti du Congrès Lettre du Centre Asie, n° 43, mai 2009

Inde : La spectaculaire reconduction du parti du Congrès

Les élections indiennes réservent décidément bien des surprises. Il y a cinq ans, la plupart des observateurs s'accordaient pour penser que l'alliance dominée par le Bharatya Janata Party (BJP) serait reconduite au pouvoir. Or, c'est l'United Progressive Alliance (UPA) conduite par le parti du Congrès qui l'emporta. Nombreux étaient ceux qui doutaient de la longévité du gouvernement de Manmohan Singh, un économiste alors plus connu pour avoir lancé la première vague de réformes libérales en début des années quatre-vingt-dix que pour une quelconque familiarité avec les marchandages de la vie politique indienne (il n'a d'ailleurs jamais été élu à la chambre basse du parlement). La soixantaine d'élus communistes qui avaient décidé de soutenir le gouvernement étaient l'assurance d'une majorité parlementaire, mais aussi un facteur d'instabilité. En fait, non seulement Manmohan Singh obtint en juillet 2008 un vote de confiance à la Lok Sabha consécutif à l'opposition des communistes à l'accord nucléaire indo-américain, mais il devrait, après la victoire bien plus large que prévue du parti du Congrès et de ses alliés à l'issue des quinzièmes élections législatives, être reconduit dans les fonctions de premier ministre.

L'intégrité du personnage a certainement joué en faveur de son parti. Manmohan Singh est devenu premier ministre avec l'image d'un "Monsieur Propre " et il a réussi, ce qui n'est pas la moindre des performances, à la conserver. Cela est la première fois depuis Jawaharlal Nehru qu'un premier ministre est réélu après avoir conduit le gouvernement pendant toute une législature. Il y avait aussi un quart de siècle que le parti du Congrès n'avait pas été reconduit au pouvoir. L'autre personnalité sortant renforcée du scrutin est Sonia Gandhi. Il paraît bien loin le temps où le BJP mettait en avant, à des fins électoralistes, les origines italiennes de la veuve de Rajiv Gandhi. Il n'y a plus grand monde aujourd'hui pour s'indigner du rôle central que la présidente du parti joue sur la scène politique indienne en invoquant ses racines européennes.

Avec 263 élus sur les 543 sièges qui étaient en jeu, l'UPA devrait sans grande difficulté atteindre la majorité absolue avec le soutien de députés qui ne laisseront pas passer l'opportunité de rejoindre le camp des vainqueurs. Mayawati, la dirigeante du parti des hors-castes, le Bahujan Samaj Party (BSP), a d'ores et déjà déclaré son intention de soutenir le gouvernement sans y participer. L'UPA a creusé un écart d'une centaine de sièges avec la National Democratic Alliance (NDA) conduite par le BJP. Le parti du Congrès, à lui tout seul, a passé la barre des 200 élus, ce qui ne lui était pas arrivé depuis 1991. En terme de votes, le parti du Congrès a aussi creusé la différence avec le BJP, avec 28, 6 % des suffrages exprimés contre 18,8 % au BJP. Le parti du Congrès réalise une excellente performance au Rajasthan, en Haryana, à New Delhi, en Uttarkhand, au Pendjab, ainsi que dans le sud du pays au Kerala et en Andhra Pradesh. Le parti du Congrès arrive en tête au Maharashtra et surtout fait jeu égal en Uttar Pradesh, l'état le plus peuplé de l'union indienne, avec le Samajwadi Party de Mulayam Singh Yadav et le BSP. Une performance inespérée pouvant notamment être pour l'arrière petit-fils de Nehru, Rahul Gandhi, qui s'est personnellement beaucoup investi sur le terrain, le tremplin lui ouvrant la voie à terme à des responsabilités gouvernementales.

Le parti du Congrès reste donc le parti le plus présent au niveau national et celui susceptible de parler à tous les Indiens. Il a été également plus heureux que le BJP dans le choix de ses alliés régionaux avec notamment les bons scores du Dravida Munnetra Kazhagam (DMK) au Tamil Nadu, du Trinamool Congress au Bengale Occidental, ou encore de la National Conference au Jammu-Cachemire. Le contexte était a priori pourtant guère favorable pour la coalition au pouvoir. Le pays n'échappe pas au recul mondial de l'activité économique et le spectre du terrorisme n'a jamais été aussi présent depuis les attentats de Mumbai de novembre 2008. Manifestement, les électeurs n'ont pas cru que l'opposition était mieux armée pour faire face à ces défis. L'erreur commise en 2004 par le NDA en jouant sur le registre de l'Inde gagnante (Shining India) n'a pas été oubliée et le parti du Congrès s'est évertué à défendre son bilan social, comme le programme de garantie d'emploi ou d'annulation de la dette pour les déshérités.

Le grand perdant de ces élections est l'opposition nationaliste hindoue. Le BJP conserve par rapport à 2004 une confortable avance au Karnataka, dans les états centraux du Chhattisgarh et du Jharkhand, et en Himachal Pradesh et se maintient en tête face au parti du Congrès au Madhya Pradesh et au Gujarat. Mais, au niveau national, le BJP perd 22 sièges (total : 116) par rapport à 2004. Le BJP a perdu de sa crédibilité à force de faire le grand écart entre le registre traditionnel de la défense d'une " hindouité " menacée aussi bien par les musulmans que par les changements comportementaux, et la volonté de tenir un discours plus en phase avec une Inde qui se globalise. Le choix de L.K. Advani, âgé de 81 ans, comme candidat au poste de premier ministre, fut aussi probablement une erreur face avec un électorat majoritairement jeune. Il semble aussi que pour la classe moyenne l'idée de grandeur nationale soit moins représentée aujourd'hui par la projection agressive d'une appartenance confessionnelle, qui bénéficia durant la décennie précédente au BJP, que par la perspective d'atteindre un niveau de vie satisfaisant.

Gilles Boquérat est chercheur et responsable du Programme Inde et Asie du Sud au Centre Asie Ifri.