L'Allemagne : le passé qui ne passe pas
 
La responsabilité allemande dans les deux conflits mondiaux renvoie, entre autres, à la volonté du militarisme allemand de se soustraire au contrôle du politique, ainsi qu’à l’immersion de la Wehrmacht dans une idéologie et un État nazis dont elle n’a jamais vraiment contesté les ordres. C’est ce double héritage qu’entendent rejeter l’Allemagne fédérale et sa Bundeswehr, dans le fonctionnement et la doctrine de cette dernière, fût-ce au prix d’une atrophie de sa volonté et de ses moyens d’agir.
 
L’Europe de 1914 a peu de choses en commun avec celle qui s’apprête à commémorer le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Et que dire des transformations de l’Allemagne, « puissance civile » prospère et postmoderne, imprégnée aujourd’hui d’une « culture de retenue » fortement ancrée dans un pays jadis si militariste et belliciste ? Cette mutation profonde d’un pays tout entier, cette transformation radicale de sa société s’inscrivent dans une logique accablante. À l’origine de deux guerres mondiales qui ont ôté la vie à plus de 100 millions de personnes, l’Allemagne, vaincue à deux reprises inconditionnellement, porte une responsabilité unique dans l’histoire, une responsabilité qui la marque depuis deux générations et la marquera encore longtemps. La Grande Guerre a coûté la vie à 17 millions d’hommes, dont 11 millions de soldats dans les combats. Après l’armistice encore, des millions de personnes ont succombé à leurs blessures, souvent atroces, à la malnutrition, à l’épuisement, aux épidémies, enfin aux conséquences des conflits de l’entre-deux-guerres, notamment ceux qui ravagèrent l’Europe de l’Est. On estime à environ 80 millions le nombre de personnes tuées par la Seconde Guerre mondiale et ses suites immédiates, dont près de la moitié furent des civils, victimes de l’Holocauste, des bombardements allemands puis de ceux des Alliés, des exactions contre les civils, des déplacements de populations, y compris après la guerre. Treize millions de personnes, dont 6 millions de juifs, ont péri dans les camps de concentration et d’internement nazis. Des dizaines de millions de personnes vivront pendant 45 ans sous le joug du totalitarisme communiste, dans des pays où l’invasion puis l’effondrement de la Wehrmacht ont ouvert les portes à l’Armée rouge.
Si la culpabilité de l’Allemagne est écrasante, les pertes qu’elle accuse ne le sont pas moins, même si aucune comparaison n’est possible. Deux millions de soldats allemands laissent leur vie en France entre 1914 et 1918. Un million de civils du Reich sont morts de faim en raison du blocus britannique qui a perduré jusqu’en 1919. Mais si les Allemands ne qualifient pas la Première Guerre mondiale de « Grande Guerre » et si elle ne joue pas le même rôle dans leur subconscient collectif qu’en France, c’est que les pertes occasionnées par la Seconde Guerre mondiale la dépassent de loin, le territoire allemand étant, cette fois-ci, touché : près de 7 millions d’Allemands sont morts entre 1939 et 1945, dont 5 millions de soldats. [...]
PLAN DE L’ARTICLE
- Le lourd héritage du militarisme allemand
- La Bundeswehr : une armée placée sous contrôle
- La Bundeswehr face aux guerres de demain
Hans Stark, secrétaire général du Cerfa à l’Ifri, est professeur de civilisation allemande à l’université de Paris-Sorbonne.
 
Article publié dans Politique étrangère, vol. 79, n° 1, printemps 2014
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