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Notre cycle sur les relations franco-allemandes donne la parole à des experts et praticiens issus de différents domaines. Au cours des dernières semaines, Gérard Araud, Ulrike Franke, Jean-Marie Magro et Klaus Hoffmann ont partagé leurs vues avec nos lecteurs. C’est maintenant au tour de Jeanette Süß de prendre la plume, quelques jours après les élections européennes et la dissolution de l’Assemblée Nationale.

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Corps analyses

Les événements se sont littéralement précipités ce 9 juin, peu après 20 heures. Alors que les analystes étaient encore occupés à disséquer les résultats, la nouvelle de la convocation de nouvelles élections législatives par Emmanuel Macron a fait l’effet d’une bombe. Même si certains reprochent au président d’avoir éclipsé le scrutin, il n’en reste que l’opinion publique est aujourd’hui devenue un peu plus européenne. En Allemagne aussi, de nombreuses voix réclamant la tenue de nouvelles élections se sont fait entendre suite à la défaite de la coalition « feu tricolore » : cela montre bien l’intérêt que les deux pays portent l’un à l’autre mais aussi, leur influence respective. Il n’est certes pas exclu que les négociations budgétaires à venir aboutissent à une rupture de la coalition au pouvoir. Tout laisse cependant à penser que la raison finira par l’emporter et que le chancelier restera en place jusqu’aux élections fédérales de 2025. Compte tenu des mauvais résultats obtenus par le SPD, les Verts et le FDP le 9 juin, des élections anticipées seraient de toute façon trop risquées.

 

En perte d’influence

S’agissant de l’ancrage de l’extrême droite, la France a quelques longueurs d’avance sur l’Allemagne ainsi que le montrent les élections du 9 juin : le Rassemblement national est non seulement devenu la première force politique du pays avec plus de 30% des voix (30 députés). Le parti constitue également la plus grande délégation nationale au Parlement Européen (PE). On ne sait pas encore comment celui-ci mettra en œuvre ce résultat à Bruxelles. Jusqu’à présent, Jordan Bardella, la tête de liste du parti, s’était surtout fait remarquer par son absence. Au cours de la précédente législature, aucune des 20 commissions parlementaires n’était présidé par le groupe ID, celui auquel appartient le RN. La manière dont les groupes d’extrême droite travailleront avec des partis non-inscrits comme le Fidesz (10 députés) ou Fratelli d’Italia (26 députés) sera déterminante. Fratelli d’Italia, et avec elle Giorgia Meloni, tient les rênes de l’autre groupe d’extrême droite, les Conservateurs et réformistes européens (ECR) : ces derniers présidaient jusqu’à présent la commission du budget.

La possibilité d’une alliance entre nationalistes ne peut certes pas être exclue. Mais compte tenu des querelles personnelles (entre Reconquête ! et le RN), des égos particulièrement marqués (entre Meloni et Le Pen) et des divergences idéologiques entre ID et ECR, c’est loin d’être acquis. La rupture entre Marion Maréchal, tête de liste de Reconquête !, trois autres députés européens (sur un total de 5) et le chef du parti Eric Zemmour, ne facilitera pas le rapprochement.

En revanche, la délégation du Président Macron, qui avait fait son entrée au PE en 2019 à égalité numérique avec le RN (23 députés), a été largement distancée (14,6 %, 13 députés). La tête de liste de Besoin d’Europe, Valérie Hayer, risque maintenant de perdre la présidence du groupe libéral-centriste Renew. Emmanuel Macron est affaibli et ne pourra vraisemblablement ni imposer son candidat Mario Draghi à la présidence de la Commission, ni obtenir une place comparable à celle qu’il avait pu obtenir pour la France il y a cinq ans – notamment le portefeuille de Commissaire européen au Marché intérieur occupé par Thierry Breton. La France souhaitera toutefois se positionner sur le poste de commissaire à la défense, qui sera vraisemblablement créé, mais les prétendants (comme Klaus Johannis) ne manqueront pas. Les seuls à avoir marqué des points en tant que force pro-européenne (13 députés), sont finalement les socialistes de Raphaël Glucksmann (Place Publique) : ils espèrent maintenant une nouvelle impulsion les 30 juin et 7 juillet prochains. Il n’est néanmoins pas certain que le Nouveau Front Populaire, l’alliance de la gauche proclamée par l’ancienne NUPES, tienne jusque-là.

 

CDU/CSU comme faiseur de roi

En Allemagne, l’AfD a disputé la deuxième place aux partis au pouvoir derrière la CDU/CSU et a obtenu son meilleur résultat dans une élection à ce niveau. Cependant, son exclusion du groupe ID (à la demande du RN) a laissé ses 16 députés isolés. Malgré l’exclusion des têtes de liste controversées Maximilian Krah et Petr Bystron, le RN ne semble pas disposé à réintégrer l’AfD dans ses rangs, même si d’autres partis ID, notamment le FPÖ, ont un avis différent. Pour le RN, engagé depuis 2011 dans une stratégie de normalisation, il s’agit d’éviter tout ce qui pourrait alerter l’électorat français. Une chose est néanmoins certaine : malgré l’exclusion de l’AfD, la montée en puissance du RN et du FPÖ a permis à ID de maintenir sa position et même d’enregistrer une légère progression.

Le SPD, qui avait déjà obtenu un très mauvais score en 2014 (15,9 %) – à l’époque, le plus mauvais de son histoire –, a certes été sanctionné (- 1,9 %, 14 députés), mais il reste finalement à peu près stable, tout comme les libéraux-démocrates du FDP (- 0,2 %, 5 députés). Les grands perdants sont les Verts avec un résultat inférieur de 8 % à celui enregistré en 2019. De son côté, la CDU a gagné quelques voix et constitue aujourd’hui la force dominante au sein du PPE (29 députés). Elle jouera à ce titre un rôle décisif dans les négociations au sein des groupes politiques et des délégations nationales pour les postes de haut niveau (présidents, vice-présidents, questeurs, composition des commissions, présidents des commissions). Avec la probable réélection de von der Leyen, elle continuera à occuper une place de choix au sein de la Commission.

 

L’influence des élections sur le tandem franco-allemand

Les partis au pouvoir en France et en Allemagne sortent donc affaiblis de ces élections. En Allemagne, l’hypothèse d’une cohabitation avec le RN de Jordan Bardella suscite de vives inquiétudes, si ce n’est de la panique. Si ce scénario venait à se réaliser, le président conserverait certes une marge de manœuvre importante en matière de politique étrangère et européenne (domaine réservé). La défense tomberait néanmoins dans l’escarcelle du Premier ministre, ce qui ne manquerait pas de susciter des frictions. En outre, il est certain que dans des domaines tels que la coopération industrielle, la politique énergétique et économique, le RN tenterait d’imposer ses vues. Le RN a fait campagne sur le thème de la préférence nationale, notamment celle qu’il dit vouloir accorder aux entreprises françaises au niveau des marchés publics. Le parti s’est enfin illustré par ses piques à répétition contre l’Allemagne pour ce qui est par exemple du marché commun européen de l’électricité dont il souhaite quitter les règles, ou bien encore du système de défense aérienne franco-allemand FCAS. Le RN est en effet d’avis que le développement d’une industrie de défense européenne est contraire aux intérêts d’une France souveraine.

 

[...]

Cette contribution fait partie d’une discussion ouverte par Gérard Araud et Ulrike Franke et prolongée par des articles de Jean-Marie Magro et Klaus Hoffmann.

  • Jeanette Süß est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle travaille en particulier sur l’Union européenne et les relations franco-allemandes. Elle fait partie de la deuxième promotion de Génération Europe, un réseau franco-allemand de jeunes chercheurs.

 

>>  Cette publication est disponible sur le site de dokdoc.eu.

 

Lire la publication de Eileen Keller, Marie Krpata et Jeanette Süß : « Élections européennes 2024. Entre repli nationaliste et ouverture, quel sera le choix des Allemands et des Français dans un contexte polarisé en Europe ? », Visions franco-allemandes, n° 36, Ifri, juin 2024.

 

 
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Jeanette SÜẞ

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La Pariser Platz (place de Paris), du côté est de la porte de Brandebourg à Berlin, Allemagne
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Le Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) a été créé en 1954 par un accord intergouvernemental entre la République fédérale d’Allemagne et la France, afin de mieux faire connaître l'Allemagne en France et analyser les relations franco-allemandes y compris dans leurs dimensions européennes et internationales. Dans ses conférences et séminaires, qui réunissent experts, responsables politiques, hauts décideurs et représentants de la société civile des deux pays, le Cerfa développe le débat franco-allemand et suscite les propositions politiques. Il publie régulièrement des études à travers deux collections : les « Notes du Cerfa » et les « Visions franco-allemandes ». 

Le Cerfa entretient des relations étroites avec le réseau des fondations et des think tanks allemands. En plus de ses activités de recherche et de débat, le Cerfa promeut l’émergence d’une nouvelle génération franco-allemande à travers des programmes de coopération originaux. C'est ainsi qu'en 2021-2022, le Cerfa a conduit un programme sur le multilatéralisme avec la Fondation Konrad Adenauer de Paris. Ce programme s'adresse à des jeunes professionnels des deux pays intéressés par les enjeux du multilatéralisme dans le contexte de leurs activités. Il a couvert une large gamme de thèmes relatifs au multilatéralisme, tel que le commerce international, la santé, les droits de l’homme et la migration, la non-prolifération et le désarmement. Auparavant, le Cerfa avait participé au dialogue d’avenir franco-allemand, co-piloté de 2007 à 2020 avec la Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik (DGAP) et soutenu par la Fondation Robert Bosch, ou encore le groupe Daniel Vernet (anciennement Groupe de réflexion franco-allemand) qui avait été fondé en 2014 à l’initiative de la Fondation Genshagen.

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