21
fév
2023
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Marc JULIENNE, propos recueillis par François d'Alançon pour La Croix

La Chine est-elle en train de changer de position dans le conflit en Ukraine ?

[Question du jour] Selon le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, la Chine s’apprêterait à livrer des armes à la Russie pour mener sa guerre en Ukraine. De telles livraisons marqueraient une rupture majeure dans l’approche chinoise du conflit. Pékin a vivement démenti, assurant au contraire vouloir « encourager la paix ».

La Croix

L’Europe mésestime les intérêts de la Chine

Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri)

Le discours chinois n’a pas changé. Le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a répété à Munich les mêmes éléments de langage : la Chine ne veut pas de la guerre et promeut des pourparlers de paix et un cessez-le-feu. Seule petite nouveauté, la Chine va publier dans les prochains jours une proposition de règlement politique de la crise ukrainienne. La livraison d’armes à Moscou par Pékin serait une rupture dans la position de la Chine depuis le début du conflit. Ce serait très incohérent avec l’annonce d’une « solution politique » chinoise pour l’Ukraine et ferait voler en éclat sa position officielle de neutralité.

Ce discours de neutralité cache un soutien tacite et politique à la Russie. Le pouvoir chinois refuse d’utiliser le terme d « invasion » ou d « agression » et préfère l’expression officielle du Kremlin d’ « opération militaire spéciale ». Bien qu’il continue de reconnaître que « l’Ukraine est bien sûr un pays souverain », il nuance en parlant du « contexte historique spécial » de la question ukrainienne et des « préoccupations de sécurité légitimes de la Russie ».

La Chine partage avec la Russie une vision commune de l’ordre international, résumée dans une déclaration conjointe, publiée le 4 février 2022, à l’issue de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine à Pékin. Le point de convergence essentiel est l’opposition aux États-Unis et aux démocraties libérales. Pékin perçoit l’Otan comme Moscou, c’est-à-dire une alliance qui s’est étendue vers l’Est de l’Europe et qui identifie la Chine comme un « défi systémique » dans le Concept stratégique adopté par le sommet de Madrid de juin 2022. Une Ukraine pro-Union européenne et pro-Otan ne sert pas les intérêts de la Chine. Pékin et Moscou se rejoignent dans leur souhait de construire une « nouvelle architecture de sécurité en Europe », autrement dit, le retrait de l’Otan et donc des États-Unis. Jusqu’à maintenant, Pékin s’est toutefois refusé à aller plus loin dans le soutien à la Russie, en particulier pour éviter de tomber sous le coup de sanctions néfastes pour l’économie chinoise.

Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président du Conseil européen Charles Michel misent pragmatiquement sur la Chine pour trouver une sortie de crise en Ukraine aux côtés de l’Europe. Xi Jinping dispose, en effet, de tous les leviers pour faire pression et de canaux de communication avec Moscou et avec Kiev. Les Européens accordent à la Chine un rôle potentiel important alors que sa contribution réelle à un règlement reste jusque-là négligeable, y compris sur le non-emploi de l’arme nucléaire. Ils mésestiment les intérêts de la Chine dans le conflit en Ukraine et sa position ambiguë et contradictoire depuis le début de la guerre, au-delà d’une neutralité de façade.

>> Retrouver l'entretien dans les pages et sur le site de La Croix

 

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