24
sep
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Paul MAURICE, interviewé par Maxence Gevin sur LCI

Départ d'Angela Merkel : "L'Allemagne a complètement changé en 16 ans"

Angela Merkel va prochainement quitter son poste de chancelière. Paul Maurice, politologue spécialiste de l'Allemagne et chercheur à l'IFRI, revient pour LCI sur la longévité exceptionnelle de la dirigeante de la CDU et la trace indélébile qu'elle laisse dans son pays.

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Une page se tourne en Allemagne. Après 16 ans à la tête du pays, Angela Merkel s'apprête à quitter le pouvoir après 16 années avec une popularité au zénith, mais sans avoir préparé sa succession. Les négociations de coalition pourraient d'ailleurs prendre plusieurs semaines. La dirigeante de la CDU laisse derrière elle un pays en excellente santé économique, où chômage et endettement sont au plus bas.

Contacté par LCI, Paul Maurice, chercheur au comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, décrypte le secret de la longévité de la première femme allemande chancelière. 

LCI : Comment Angela Merkel a-t-elle fait pour rester pendant 16 ans au pouvoir ?

Paul Maurice : Une conjonction de différentes choses. Ce sont d'abord et avant tout des années de mandat réussies. Au début des années 2000, l’Allemagne était le pays malade de l’Europe. Elle connaissait des problèmes économiques et budgétaires. Aujourd’hui, c’est la première puissance économique du continent. Les électeurs sont reconnaissants, même si elle a pu bénéficier du travail de son prédécesseur, Gerhard Schröder, et notamment de sa réforme du droit de travail. 

La dirigeante a aussi montré, même si elle n’était pas très entreprenante sur les investissements, qu’elle savait être une bonne gestionnaire. L’orthodoxie budgétaire (fait, pour un État, de ne pas dépenser plus que ses recettes ne le permettent, NDLR) et le zéro déficit ont rassuré les électeurs allemands. Cela a permis d’assainir les finances publiques.

Pour le reste, elle est plutôt vue comme quelqu’un qui gère bien les crises plutôt que quelqu’un qui les anticipe. Ça lui donne une forme de popularité. De quoi laisser aussi quelques petits bémols à son bilan...

 

«Le différentiel est/ouest était encore très fort au début des années 2000. Aujourd’hui, il est en voie d’être comblé. » - Paul Maurice, politologue​. 

 

Celle que l'on surnomme parfois la "Mutti" (mère de la nation en allemand, NDLR) n'a-t-elle jamais souffert d'une forme d'usure du pouvoir ? 

Pour commencer, le terme de "Mutti" est assez ambigu et doit être manié avec précaution. Il a souvent été utilisé par ses détracteurs, pour la rapporter à son statut de femme. Il y a aussi quelque chose d’assez moqueur, étant donné qu’elle n’a pas d’enfants. 

Au-delà de ça, le parti d'Angela Merkel, la CDU, n’a fait "que" 33% en 2017 alors que quatre ans plus tôt il faisait 40 %.  Il a aussi subi des revers électoraux en 2018, lors des élections de Landers. Angela Merkel a même dû démissionner de la présidence du parti qu’elle occupait depuis 2000. Il y a donc eu une forme d’usure du pouvoir, de contestation. Mais tout est relatif par rapport à d’autres dirigeants européens, d'autant que ça n’est arrivé qu’au moment du 4e mandat.

Par ailleurs, la dirigeante a été aidée par la stabilité politique de l'Allemagne. De manière générale, les chanceliers allemands restent quand même assez longtemps au pouvoir, à l'image d'Helmut Kohl par exemple (16 ans aussi, NDLR). Les partis qui gouvernent sont généralement reconnus comme compétents. À moins de prendre des mesures vraiment très impopulaires, il y a aussi une forme de prime au sortant. Tout cela s'explique notamment par la nature fédérale de l'État allemand. De nombreuses thématiques ne sont ainsi pas évoquées durant la campagne pour les élections législatives, car entrant dans la compétence des Landers. Cela permet de disperser un peu les sujets de mécontentement et, en quelque sorte, de reporter la responsabilité. 

Quelle trace Angela Merkel va-t-elle laisser ? 

Il y a un avant et un après Angela Merkel, car l’Allemagne a complétement changé en seize ans. Il y a autant de temps qui s'est écoulé entre la réunification du pays et son entrée en fonction, qu'entre son entrée en fonction et aujourd'hui. Le différentiel est/ouest était encore très fort au début des années 2000. Aujourd’hui, il est en voie d’être comblé. 

Sur le plan international, l’Allemagne est restée sur sa ligne traditionnelle, c’est-à-dire très atlantiste et "pro-Otan". Pour autant, elle est désormais une puissance commerciale et économique de premier plan. 

Si l'on ne devait retenir qu'un fait marquant de ces 16 ans de mandats ? 

Ce serait l’accueil des milliers de réfugiés en 2015. Soit la mesure la plus importante, car certainement la plus réfléchie, la plus personnelle, la plus humaniste. Sur le plan démographique, cela avait du sens également. Il s’agit à la fois de quelque chose d’extrêmement positif,   pour lequel Angela Merkel est remerciée, et, en même temps, d’un moment qui a cristallisé la vie politique allemande. C’est en s’appuyant sur cette thématique que, par exemple, l’extrême droite a pu entrer au parlement en 2017. Un moment charnière, assez ambivalent et donc passionnant.

 

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