31
mai
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Irakli Garibashvili, Premier ministre de la Géorgie, Bruxelles, 17 mai 2022
Dimitri MINIC, interviewé par Elisabeth Crépin-Leblond pour Le Figaro

La Géorgie s'éloigne-t-elle de l'Union européenne pour se rapprocher de la Russie ?

Pour récompenser Tbilissi de son comportement à l'égard de Moscou, la Russie a levé des restrictions entre les deux pays, analyse le chercheur Dimitri Minic. Sur le plan économique la Géorgie est de plus en plus dépendante de son voisin, ajoute-t-il.

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Les autorités géorgiennes ont refusé de condamner l'agression de la Russie contre l'Ukraine et de se joindre aux sanctions européennes, que le premier ministre Irakli Garibachvili juge «inutiles». Faut-il y voir un alignement de la position du gouvernement géorgien avec le Kremlin ?

La présidente et le premier ministre géorgiens ont une orientation pro-occidentale (cela est inscrit dans la Constitution depuis la guerre russo-géorgienne de 2008) et Tbilissi a officiellement condamné l'invasion russe de l'Ukraine. Les marionnettes russes dans le pays n'ont pas produit les effets escomptés malgré quelques coups de communication. Toutefois, la stratégie adoptée par la Géorgie est en soi équilibrée, ce qui rend moins utile une force de subversion prorusse. En effet, le gouvernement a critiqué les «va-t'en guerre», comme le parti de Mikheil Saakachvili ou même les dirigeants ukrainiens, qui ont incité Tbilissi à profiter de la guerre en Ukraine pour réintégrer l'Ossétie-du-Sud et l'Abkhazie. Les Géorgiens ont affirmé ne pas vouloir provoquer ou irriter Moscou, et ont assuré qu'ils n'étaient pas en guerre contre la Russie.

Les sanctions européennes à l'égard de la Russie profitent-elles à la Géorgie ? Quel est le poids de la Russie dans l'économie géorgienne ?

La Russie est un partenaire économique essentiel de la Géorgie. Le tourisme russe, aujourd'hui au ralenti à cause des limitations introduites par la Russie, y était très important pour l'économie géorgienne, mais aussi le vin, dont Moscou avait limité les importations pour réprimander Tbilissi en 2006. D'ailleurs, et c'est très révélateur, pour récompenser la Géorgie de son comportement équilibré à l'égard de Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a commencé par lever les restrictions sur le transit terrestre entre les deux pays mi-mai. La Russie a également annoncé qu'elle pourrait rouvrir les communications aériennes entre les deux pays (coupées depuis les manifestations de 2019 organisées par l'opposition «antirusse») quelques jours après.

Les sanctions et l'isolement de la Russie profitent à la Géorgie dans la mesure où Moscou se sent obligé de faire feu de tout bois et de montrer aux autres pays de l'ex-URSS qu'il est capable de négocier et d'avoir une relation positive avec un partenaire docile.

La Géorgie a déposé sa candidature à l'Union européenne le 2 mars 2022 à la suite d'une pétition signée par 50.000 Géorgiens. Par ailleurs, d'importantes manifestations ont eu lieu à Tbilissi en soutien à l'Ukraine depuis le début de la guerre. Y a-t-il un décalage entre l'opinion publique géorgienne et le gouvernement du pays?

Le soutien précoce à l'Ukraine de la Géorgie a été plébiscité par la population géorgienne, même si la moitié des Géorgiens ne voulaient pas que leur gouvernement impose des sanctions à la Russie, et seul un tiers des Géorgiens désirait limiter les liens économiques avec la Russie. Mais les déclarations des officiels ukrainiens pour tenter d'impliquer davantage la Géorgie ont probablement refroidi une partie des soutiens parmi la population géorgienne. Fin avril la majorité des Géorgiens se sont dits favorables à la façon dont leur gouvernement gérait le soutien à l'Ukraine.

En août 2008, la Russie et la Géorgie se sont affrontées pour le contrôle de l'Ossétie du Sud, une petite république séparatiste géorgienne prorusse, dont Moscou a reconnu l'indépendance. En quoi cette guerre influence-t-elle les évènements d'aujourd'hui ?

L'existence de provinces séparatistes dont l'indépendance est reconnue par Moscou a d'abord été un levier puissant dans les mains de la Russie. En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine, les marionnettes du Kremlin en Ossétie-du-Sud ont annoncé qu'elles organiseraient un référendum sur le rattachement de l'entité sécessionniste à la Russie. Pour récompenser le comportement prudent de la Géorgie dans ce contexte de guerre russe en Ukraine, il est très révélateur qu'au-delà de la levée des limitations économiques contre la Géorgie, la Russie se soit également et récemment prononcée contre ce rattachement.

La Russie peut donc à sa guise activer le sécessionnisme pour infléchir l'orientation politico-stratégique de la Géorgie, même si les élites dirigeantes géorgiennes n'ont pas renoncé à leur volonté de rapprochement avec l'Occident.

Si la Géorgie ne reçoit pas de soutien et de perspectives plus clairs et décisifs des structures de sécurité et de coopération euro-atlantiques, cette volonté pourrait devenir de plus en plus artificielle, alors que la dépendance politico-économique à la Russie est, elle, de plus en plus réelle.

 

> L'interview est disponible sur Le Figaro

Mots-clés
Diplomatie guerre en Ukraine Géorgie Russie