« La Russie n’a aucune raison de réduire ses ambitions sur l’Ukraine et au-delà »
Si elle n’a pas fait cesser les combats, la séquence diplomatique ouverte par la rencontre Trump-Poutine a probablement créé quelques ouvertures, mais qui restent encore largement à confirmer, analyse Tatiana Kastouéva-Jean, spécialiste de la Russie, dans une tribune au « Monde ».

Depuis l’investiture de Donald Trump, en janvier, plusieurs séquences diplomatiques denses, pleines d’annonces, de revirements et de manœuvres en coulisse se sont enchaînées sans pour autant permettre une sortie de la guerre en Ukraine. La succession de rencontres diplomatiques de Donald Trump avec Vladimir Poutine, en Alaska [le 15 août], puis avec Volodymyr Zelensky, à Washington, suivie d’un échange avec les Européens [le 18 août], laisse-t-elle apercevoir une percée possible ?
La réponse est toujours en suspens : en dépit des louanges sur la qualité des échanges formulés par tous les protagonistes, aucun détail précis d’un possible règlement, de ses modalités ni de son calendrier n’a été dévoilé à ce jour, alors que la question d’un cessez-le-feu inconditionnel ne fait plus partie de la discussion et que la Russie poursuit les bombardements de l’Ukraine sans perdre les faveurs du président américain.
En Alaska, c’est Vladimir Poutine qui a tiré le plus grand profit politique de la rencontre. Reçu avec des honneurs inédits par Donald Trump, il gagne sur le terrain symbolique : aux yeux de son électorat comme de la communauté internationale, il n’apparaît pas comme le paria, mais comme l’incontournable faiseur de paix.
Au-delà de la mise en scène, le président russe impose surtout son approche : Donald Trump ne soutient plus le cessez-le-feu immédiat, comme le réclamaient Kiev et Bruxelles, mais un « accord global » dont les conditions restent floues, mais incluraient la reconnaissance de l’appartenance de la Crimée à la Russie ainsi que des quatre régions dans l’est de l’Ukraine, l’exclusion de l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la reconnaissance du russe comme deuxième langue officielle dans certaines régions et le retour en grâce de l’Eglise orthodoxe sous le patriarcat de Moscou. En échange, Poutine semble désormais accepter du bout des lèvres le principe des garanties de sécurité occidentales pour l’Ukraine. Mais la réalité de ce changement de pied majeur reste à confirmer.
En coulisse, les fuites évoquent des propositions de « compromis » territoriaux – un « échange » de territoires ukrainiens qui ressemble davantage à de l’extorsion – qui permettent à la Russie d’espérer la levée des sanctions et la normalisation des relations avec Washington. Sans se refuser le plaisir des provocations : du sweat-shirt « URSS » arboré par Sergueï Lavrov [le ministre des affaires étrangères russe] à son arrivée en Alaska, à la médaille soviétique remise à l’émissaire américain, Steve Witkoff, quelques jours auparavant, pour honorer le fils d’une responsable de la CIA tombé dans les rangs prorusses au front ukrainien. Des gestes que l’administration américaine n’a pas relevés, montrant par là même qu’elle ne saisissait pas les enjeux profonds du conflit ni ceux des manœuvres de la Russie, inflexible sur ses objectifs qui vont bien au-delà de l’Ukraine.
Poutine n’a pas pour autant engrangé de victoire totale en Alaska. Si l’absence d’un accord signé a été interprétée comme un échec du sommet, elle prouve cependant que les Américains ont compris que celui-ci serait immédiatement caduc sans l’accord de l’Ukraine, soutenue par les Européens.
Intentions invariables
D’où la seconde phase à Washington, avec Volodymyr Zelensky, entouré d’Emmanuel Macron, de Keir Starmer [le premier ministre britannique], d’Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission européenne], de Friedrich Merz [le chancelier allemand], de Mark Rutte [le secrétaire général de l’OTAN] et de Giorgia Meloni [la présidente du conseil italienne]. Là encore, peu d’avancées concrètes affichées : Trump, soucieux de ménager Poutine, se garde bien de toute annonce majeure, tout en promettant « beaucoup d’aides » pour l’Ukraine, dont la participation américaine aux garanties de sécurité du pays semblables à celles stipulées par l’article 5 du traité de l’OTAN [qui prévoit une assistance mutuelle des Etats membres en cas d’agression], mais hors de l’Alliance atlantique.
Le président Zelensky déclare qu’il a eu sa « meilleure conversation » avec Donald Trump, six mois après la scène humiliante dans le bureau Ovale, et accepte le principe de la rencontre trilatérale avec les présidents américain et russe dans les semaines qui viennent. Il subit une pression forte et n’a pas le droit à l’erreur : c’est sur lui que Trump fait désormais porter la responsabilité de la réussite ou de l’échec de la négociation. Les Européens, eux, déploient depuis plusieurs mois des efforts diplomatiques considérables pour rester dans le jeu et éviter que la paix ne se décide en leur absence ainsi qu’en celle de l’Ukraine.
Ni succès décisif, ni échec cuisant, cette séquence diplomatique n’a pas stoppé le combat sur le terrain, mais a probablement créé quelques ouvertures pour la suite, qui restent encore largement à confirmer. Les intentions fondamentales des acteurs sont invariables. La Russie, qui avance sur le terrain tout en gardant la bienveillance de Trump, n’a aucune raison de réduire ses ambitions sur l’Ukraine et au-delà. Les perspectives économiques russes, fragiles mais loin d’être critiques à ce stade, n’empêcheront pas le Kremlin de poursuivre la guerre. La menace de nouvelles sanctions américaines est par ailleurs écartée pour le moment.
Quant à Trump, il cherche un résultat rapide pour mettre fin aux hostilités, quitte à forcer Kiev à faire des concessions substantielles défavorables à sa sécurité et contraires au droit et à la justice. L’Ukraine, elle, entend continuer de se battre pour rester indépendante et pleinement souveraine. Signe qu’elle n’a pas prévu de capituler, Kiev a présenté en août le missile ukrainien Flamingo : d’une portée de 3 000 kilomètres, il augmente la capacité de frapper en profondeur des cibles stratégiques pour la Russie.
Pour les Européens, qui font tout pour préserver l’intégrité des frontières de l’Ukraine tout en préservant leur unité politique, la réunion en Alaska est un énième avertissement de la précarité de leur rôle. L’effort diplomatique constant et coordonné, et une solidarité intacte avec Kiev doivent être maintenus. Mais sans un engagement militaire et financier défini indépendamment des Américains, le risque demeure donc entier que les conditions de paix en Ukraine soient dictées selon les intérêts du plus fort à Moscou et à Washington.
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