Rechercher sur Ifri.org

Recherches fréquentes

Suggestions

Le commerce mondial, entre tarifs et infrastructures portuaires

Interventions médiatiques |

chronique parue dans la revue

  Études 

 
Accroche

L’offensive tarifaire lancée par Donald Trump, le 2 avril dernier, a épaissi le « brouillard de la guerre commerciale » commencée lors de son premier mandat1. Depuis lors, le Président américain multiplie les provocations en prétendant que les droits de douane doivent permettre de combler l’abyssal déficit commercial des États-Unis et d’encourager la réindustrialisation du pays. 

Image principale médiatique
Thomas Gomart, Ifri
Thomas Gomart, directeur de l'Ifri
Mike Chevreuil / Ifri
Table des matières
Table des matières
body

Il pense aussi que toute négociation commerciale bilatérale place mécaniquement son pays en position de force. La Chine est en train de lui démontrer le contraire, alors que l’Union européenne temporise pour calibrer sa réponse. Ce brouillard perturbe évidemment l’activité des entreprises, qui diffèrent leurs investissements. Elles s’adaptent comme elles le peuvent en recourant aux stocks, modifiant ainsi en profondeur les chaînes logistiques. L’incertitude est telle qu’aucune entreprise ne connaît le montant des taxes qui s’imposeront sur un conteneur envoyé aux États-Unis. De facto, ces derniers ont quitté l’Organisation mondiale du commerce (OMC), symbole de la mondialisation.

Une réalité et une projection sont dans toutes les têtes. La réalité, ce sont les déséquilibres commerciaux structurels entre une Chine excessivement excédentaire (992 milliards de dollars en 2024) et des États-Unis lourdement déficitaires (920 milliards de dollars en 2024) envers, par ordre d’importance, la Chine, l’Union européenne, le Mexique et le Vietnam. La projection, ce sont les anticipations d’une croissance continue des échanges commerciaux. Le commerce devrait progresser de 2,3 % par an jusqu’en 2031 et s’organiser autour de six grands ensembles : la Chine, le « Sud global », l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), l’Inde, l’Union européenne et l’Amérique du Nord2. Les décisions de Trump affectent l’ensemble des partenaires mais ses déclarations sur le Canada et le Mexique fragilisent politiquement l’intégration régionale nord-américaine.

Son comportement erratique rend vains les efforts d’analyse et de prévision à court et moyen termes. L’incertitude devient la norme : elle résulte moins de la géopolitique que d’une absence de visibilité des politiques économiques3. Comment, dès lors, essayer d’anticiper ? En identifiant sans doute des facteurs plus tangibles car la domination commerciale s’exerce par la maîtrise simultanée de plusieurs nœuds critiques. Les échanges commerciaux impliquent des infrastructures portuaires même s’il faut souligner que les échanges à l’intérieur d’un pays sont très largement supérieurs aux échanges entre pays. Autrement dit, les pays disposant d’un vaste marché intérieur sont, par définition, moins exposés au commerce international que les autres.

Le classement des ports accueillant des porte-conteneurs reflète une géographie des flux physiques bien plus significative que les oscillations des tarifs douaniers envisagés par Trump. Sur les dix principaux ports mondiaux, sept se situent en Chine. Les trois autres sont Singapour, Busan (Corée du Sud) et Dubaï (Émirats arabes unis). La Chine exploite sur son territoire le premier ensemble portuaire mondial. Parallèlement, l’entreprise Cosco détient une participation majoritaire dans cinq ports : Abou Dabi (Émirats arabes unis, 90 %), Zeebruges (Belgique, 85 %), Le Pirée (Grèce, 67 %), Chancay (Pérou, 60 %) et Valence (Espagne, 51 %). Elle détient 70 % du marché des porte-conteneurs. Ses opérateurs contrôlent 89 terminaux hors de Chine.

C’est pourquoi Trump veut taxer les navires chinois entrant aux États-Unis. Ce serait trop simple. Plus la Chine maîtrise la trajectoire de ses exportations, plus elle dégage de valeur. Sa domination maritime se traduit par des ambitions navales assumées et explique pourquoi, à la différence des États-Unis et de l’Europe, elle développe activement ses chantiers navals. Quelle que soit l’issue de l’offensive lancée par Trump, il faut bien comprendre que la Chine se prépare de longue date à réduire sa dépendance aux exportations vers les États-Unis. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’Europe qui apparaît désormais comme le premier marché susceptible d’absorber ses surcapacités.

_________________

1 Sébastien Jean, « Trump s’en va-t-en guerre commerciale. Quelles réponses pour l’Union européenne ? », Notes de l’Ifri, Ifri, mai 2025.

2 Boston Consulting Group, Great Powers, Geopolitics, and the Future of Trade, janvier 2025.

3 Mathilde Lemoine, « Quand l’incertitude devient la norme », Les Échos, 27 mai 2025.

 

>Lire l'article sur le site de la revue Études

 

Decoration

Média

Nom du journal, revue ou émission
Revue Études

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Thomas GOMART

Thomas GOMART

Intitulé du poste

Directeur de l'Ifri

Crédits image de la page
Thomas Gomart, directeur de l'Ifri
Mike Chevreuil / Ifri