Le projet franco-allemand d’avion de combat du futur plus menacé que jamais
Huit ans après son lancement par Emmanuel Macron et Angela Merkel, ce symbole de la souveraineté européenne en matière de défense est au bord du néant. En cause, les exigences de son maître d’œuvre, Dassault Aviation, jugées excessives à Berlin, et des divergences politiques et stratégiques entre la France et l’Allemagne.
« Il y a ceux qui disent que c’est foutu, et il y a ceux qui disent qu’on va y arriver, et tous ont tort », résume un diplomate. Huit ans après son lancement par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel, le projet d’avion de combat franco-allemand de nouvelle génération (Système de combat aérien du futur, SCAF) traverse une nouvelle crise existentielle, possiblement plus grave que les précédentes. A Paris et à Berlin, dans les cercles politiques et industriels, plus grand monde ne semble croire à l’aboutissement de cet ambitieux projet chiffré initialement à 100 milliards d’euros, symbole d’une souveraineté européenne de défense.
« La situation actuelle n’est pas satisfaisante, a déclaré le chancelier allemand Friedrich Merz, le 18 septembre, inhabituellement critique, à l’occasion d’une visite à Madrid. Nous n’avançons pas dans ce projet. » Le temps presse : la décision d’entrer dans la phase 2 doit être prise avant la fin de l’année, sauf à accepter une dérive au-delà de l’horizon 2040, fixé pour l’aboutissement du projet.
Début mai, l’arrivée au pouvoir de M. Merz, Européen convaincu désireux de relancer un tandem franco-allemand affaibli, avait laissé espérer un redémarrage de ce chantier emblématique maintes fois donné pour condamné depuis son lancement. Mais cinq mois après sa prise de fonction, le risque de rupture n’a jamais été aussi grand. Le sujet n’a même pas été officiellement abordé lors du conseil des ministres franco-allemand à Toulon, le 29 août, à l’issue duquel il a été renvoyé à la fin de l’année.
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Texte citation
« La France ne met pas suffisamment pression sur Dassault, mais a-t-elle les moyens de le faire ?, s’interroge-t-on à Berlin. Dassault est en position de force ». La crainte, côté allemand, est que « Dassault veuille piloter un projet répondant à des besoins français mais financé par d’autres », résume Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales.

Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Ifri
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La volonté politique de part et d’autre ne fait pourtant guère de doute. « Ces projets importants répondent à des besoins stratégiques que nous avions identifiés en 2017 avec la chancelière Merkel, a déclaré M. Macron au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, jeudi 1er octobre. Sont-ils rendus caducs par l’évolution géopolitique ? Non, au contraire ! » Mais le président français est affaibli politiquement.
- Et « Dassault est un système politico-industriel puissant sur lequel il est difficile de faire pression, observe Paul Maurice. Quant à M. Trappier, il n’appartient pas à la famille [Dassault] , dont plusieurs membres faisaient eux-mêmes de la politique. Il est plus loin de l’Etat ».
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Relation transatlantique
Quoique attaché au projet, M. Merz est de son côté confronté à une administration et à des responsables politiques qui demeurent avant tout attachés à la relation transatlantique.
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La France et l’Allemagne peuvent-elles réellement mener ce projet séparément ? « Je ne sais pas s’il y a sérieusement une alternative, reconnaît une source allemande. Il y a le projet Global Combat Air Program avec les Anglais, les Japonais et les Italiens, mais il est déjà bien avancé, et il sera difficile de monter à bord en cours de route ». Le sujet de la récupération par Airbus, pour un projet concurrent, des travaux menés en commun avec Dassault se poserait.
Texte citation
« Le modèle de Dassault, très national et vivant de la commande publique, est-il le meilleur dans un contexte géopolitique de retrait des Etats-Unis ?, s’interroge Paul Maurice. Il faut des solutions européennes. Le risque, si le SCAF n’aboutit pas, est que ce soient les entreprises américaines qui en profitent ».

Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Ifri
Cet article est publié dans Le Monde. (réservé aux abonnés)
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